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Interview de François Dumont, pianiste – En été avec Chopin

La trentaine tout juste passée, François Dumont appartient incontestablement à la fine fleur du clavier. Affable, toujours disponible et attentif à son interlocuteur, ce lauréat de prestigieux concours internationaux (Reine Elisabeth de Bruxelles, Chopin à Varsovie, Cleveland, Hamamatsu …), nominé aux Victoires de la Musique en 2011 et Révélation de la Critique Musicale l’année suivante, mène une carrière remarquée de soliste et de chambriste. Sa musicalité généreuse qui associe profondeur et subtilité l’emporte sur les effets médiatiques. Réservé en privé, il se montre d’une imagination fertile au concert, conjuguant un art d’architecte des sons avec une profonde spontanéité. A l’orée d’un été particulièrement chargé, il a répondu à Concertclassic.
 
Vous serez présent au 33ème Festival de Bagatelle le 5 juillet pour un récital entièrement consacré à Chopin. Quelle place ce compositeur et ce lieu tiennent-ils dans votre parcours ?
 
François DUMONT : Il est vrai que je pratique depuis longtemps l’œuvre de Chopin. Dès mon enfance, l’enregistrement des Valses réalisé 1950 au Festival de Besançon par Dinu Lipatti appartenait à mon Panthéon. Le Prix que j’ai remporté à Varsovie en 2010 m’a davantage ouvert au génie du compositeur polonais et m’a apporté beaucoup plus de reconnaissance et d’invitations que la récompense au Concours Reine Elisabeth en 2007. D’ailleurs, je suis invité plusieurs fois par an en Pologne. J’ai aussi une relation toute particulière avec le Festival Chopin de Bagatelle, manifestation à laquelle je suis très attaché depuis ma sortie du Conservatoire de Paris. Les organisateurs m’ont mis le pied à l’étrier en m’offrant la possibilité de jouer dans la série Jeunes Pianistes et montrent toujours à mon égard la même fidélité. Je proposerai cette année un florilège à large spectre entre les quatre Ballades et un bouquet de Nocturnes ; un voyage où je chercherai non seulement un fil rouge à travers les tonalités, mais aussi à atteindre une intensité de tous les instants. Cet été d’ailleurs, je me consacre beaucoup à Chopin dans le cadre de concerts à Toulon, à La Roque d’Anthéron et aux Nuits Musicales en Armagnac.
 
Quelle part ont eu vos maîtres dans cette passion pour Chopin ?
 
F.D. : Après avoir travaillé à Lyon, ma ville natale, avec Hervé Billaut, je suis entré au CNSM de Paris dans la classe de Bruno Rigutto qui, comme vous le savez, a été très proche de Samson François ; cela m’a ouvert très tôt à l’univers de Chopin. Plus tard, à l’Académie Internationale de Côme, j’ai suivi l’enseignement de Fou T’song qui avait remporté un Troisième Prix à Varsovie en 1955 et s’était fait remarquer par ses interprétations des Mazurkas. Il avait même émerveillé les Polonais, c’est dire ! Aujourd’hui encore, même s’il est très âgé, il garde dans la mémoire collective des Polonais le souvenir d’un artiste original dont l’art princier, a exercé sur moi une forte influence. J’écoutais récemment son disque des Nocturnes qui m’impressionne toujours autant par son inventivité et le regard porté au-delà des notes. Léon Fleisher ou Murray Perahia m’ont laissé aussi une empreinte indélébile au cours de leurs classes de maître. Ce furent des expériences irremplaçables dont je continue à faire mon miel.  
 
Vous manifestez aussi un intérêt tout particulier pour l’œuvre de Jean-Sébastien Bach. Comment vous situez-vous par rapport aux interprétations légendaires ?
 
F.D. : On ne peut évidemment pas faire l’impasse sur Glenn Gould, mais ma démarche se place dans une autre perspective. Mes références en la matière sont plutôt du côté de Rosalyn Tureck dont j’admire l’art de la construction et l’imagination sans cesse en éveil, d’András Schiff  pour sa maîtrise et sa perfection stylistique, ainsi que de Murray Perahia pour le sens de la synthèse, la qualité du toucher et la suprême élégance. Au-dessus de tout, il y a Dinu Lipatti dont la lecture de la Première Partita atteint des sommets d’émotion que l’on n’a, à mon avis, jamais dépassés. Mon approche tient bien sûr compte de ce qu’ont apporté les musiciens baroques au clavecin au niveau de l’articulation, du rythme, mais je suis très attentif au travail de Nikolaus Harnoncourt et plus encore de René Jacobs pour son art du chant. Dans les opéras de Mozart, ses interprétations me réjouissent au plus haut point par leur liberté et leur inventivité.
 

© Jean-Baptiste Millot

Vous venez de consacrer un disque au pianiste et compositeur Henri Kowalski dont l’héritage se situe dans le sillage de Chopin. Quel regard portez-vous sur lui ?
 
F. D. : En fait, il s’agit d’une heureuse coïncidence. La bibliothèque municipale de Dinan, dans les Côtes d’Armor, a acquis en 1986 les archives d’un artiste dont le rôle a été important dans la vie musicale de son temps. Comme Chopin, il possédait une double culture, polonaise par son père et bretonne par sa mère, descendante d’une grande famille installée au château du Chêne-Vert sur les bords de la Rance. Né en 1841 et décédé en 1916, il a non seulement rencontré Chopin à l’âge de six ans, mais ensuite fréquenté certains de ses élèves. Il a mené une carrière de virtuose qui l’a conduit à travers le monde, en particulier en Amérique et en Australie où il a fait deux séjours prolongés et animé une vie musicale embryonnaire (1). Son œuvre abondante (plus de 300 titres) ne peut évidemment se comparer à celle de son idole – on a plutôt affaire à des pièces de genre. Outre des morceaux pour clavier, j’ai enregistré au Théâtre des Jacobins à Dinan avec mon épouse Helen Kearns des mélodies pour soprano et piano que nous avons données en concert en mai dernier pour le centenaire de la mort de Kowalski. Je me réjouis d’avoir fait revivre une part de l’œuvre de ce pianiste-compositeur adulé et aujourd’hui bien oublié qui mérite toutefois de sortir de l’ombre.   
 
Comment conciliez-vous votre activité de soliste et celle de musicien de chambre ?
 
F.D. : C’est une question d’organisation, et je ne vois pas cela comme une séparation des genres car la musique de chambre enrichit mon approche de concertiste. Bien sûr, ma carrière de soliste m’occupe beaucoup (je donne environ une centaine de concerts par an), mais je garde suffisamment de temps pour poursuivre l’aventure créée avec le Trio Elégiaque, fondé il y a plus de dix ans. A la fin de cette année, nous enregistrerons les Trios de Schubert (chez Academy Records), des partitions exigeant beaucoup de maturité, mais nous nous sentons prêts à surmonter le défi. J’assure également depuis cette année la direction artistique des Musicales des Coteaux de Gimone (qui se dérouleront du 9 au 13 juillet). On y entendra des musiques de toutes les époques avec, en particulier, le Stabat Mater de Pergolèse ; pour ma part, je m’associerai au remarquable Quatuor Zemlinsky pour le Quintette de Chostakovitch.  
 
Vous avez engagé avec le comédien Claude Duparfait une collaboration pour un spectacle original sur Maurice Ravel. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?
 
F.D. : Il s’agit en effet d’une entreprise qui m’ouvre des horizons qui m’étaient jusque-là étrangers. Claude Duparfait éprouve une passion absolue pour Ravel. Il a eu l’occasion de m’entendre en concert et nous nous sommes rendu compte que nous partagions ensemble le même enthousiasme pour cet auteur. La fantaisie théâtrale que nous avons élaborée ensemble mêle musique et textes. Je tiens la partie de piano, mais suis aussi un partenaire qui quitte souvent son instrument, se déplace et intervient pour échanger avec Claude Duparfait en un jeu de questions-réponses autour de l’œuvre et de la vie de Ravel. Le Festival de Besançon en aura la primeur en septembre prochain et j’espère que cette production pourra ensuite tourner dans d’autres lieux.
 
Quelle place la musique contemporaine occupe-t-elle dans votre itinéraire ?
 
F.D. : Je me suis toujours intéressé au répertoire contemporain et ai l’occasion de me produire dans des œuvres d’aujourd’hui : à la fin du mois de juin je créerai à Riom une partition de Romain Desjonquères intitulée Divertimento pour piano et orchestre à cordes. Je participerai en août au Festival Messiaen de La Meije avec mes amis du Trio Elégiaque dans des pièces de Ravel, Kagel et en première mondiale une œuvre d’Alain Gaussin intitulée Les Cépheïdes. Sans me spécialiser, je garde toujours le contact et un intérêt pour la musique qui se fait.
 
Quels sont vos projets ?
 
F.D. : J’ai entamé avec l’Orchestre Symphonique de Bretagne une intégrale des Concertos pour piano et orchestre de Mozart que je dirige du clavier et je compte poursuivre en automne cette aventure qui s’est déjà matérialisée en février dernier par l’enregistrement à l’Opéra de Rennes des Concertos nos 17 et 23. Auparavant, j’avais aussi enregistré avec Julien Masmondet et la même formation deux autres concertos : n° 9 « Jeunehomme » et n° 20 qui ont été bien reçus par la critique. Avec les musiciens de cet orchestre, le courant passe bien et les répétitions se déroulent dans la cordialité. J’ai tenu à insérer également des airs pour soprano de Mozart avec orchestre ou piano chantés par Helen Kearns ; j’entretiens une relation de proximité avec le monde lyrique, car la voix, par ses résonances et son cantabile, répond à ce que je recherche au niveau pianistique. Prochainement, doivent paraître (chez Naxos) les deux Concertos de Ravel avec l’Orchestre National de Lyon dirigé par Leonard Slatkin, une expérience live très enrichissante qui fait suite à un enregistrement que j’ai réalisé (pour Brillant Classics) de toute la musique pour piano seul de Ravel. Il y a aussi un second disque J.-S. Bach déjà « en boîte » (chez Artalinna).
En ce qui concerne les concerts, j’ai en perspective une tournée à Bogotá avec l’Orchestre de Colombie fin janvier 2017. Auparavant, je donnerai un récital Salle Gaveau (le 16 janvier) où j’associerai aux 4 Ballades de Chopin un florilège de pièces de J.-S. Bach (Concerto italien, Capriccio, Chaconne …). Cela me semble évident tant Chopin manifestait à l’égard du Cantor de Leipzig une admiration qui ne s’est jamais démentie. C’est cet héritage que j’essaie très modestement de transmettre lors de mes concerts.
 
Quels compositeurs souhaiteriez-vous mettre au programme de vos prochains concerts ?
 
F.D. : Je me penche actuellement sur le grand répertoire beethovénien : les Concertos pour piano et certaines sonates - dont l’ « Appassionata » et la « Waldstein ». Comme je l’ai déjà dit, je consacre beaucoup de temps à peaufiner les Concertos de Mozart dans le cadre d’un projet d’intégrale en tant que pianiste et chef avec l’Orchestre Symphonique de Bretagne. Enfin, j’aimerais beaucoup donner en récital des pages de Chabrier, un compositeur instinctif, plein de vie, dont la musique roborative rend optimiste.
 
Propos recueillis par Michel Le Naour, le 14 juin 2016

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(1) Un ouvrage très documenté de Marie-Claire Mussat, musicologue et professeur émérite à l’Université Rennes II a été publié en 2014 : Dans le sillage de Chopin, le pianiste Henri Kowalski édité par Le Pays de Dinan, également éditeur du CD de François Dumont : Œuvres pour piano & Mélodies de Henri Kowalski /www.bm-dinan.fr
 
 
Prochains récitals de François Dumont  autour de l’œuvre de Frédéric Chopin :
5 juillet 2016 : Orangerie de Bagatelle, Festival Chopin.
www.frederic-chopin.com
8 et 9 juillet 2016 : Festival de Toulon, Tour royale.
www.festivalmusiquetoulon.com
31 juillet 2016 : Festival de La Roque d’Anthéron, parc du château de Florans.
www.festival-piano.com/fr/programme/concerts/31-07-2016-18h00-parc-du-chateau-de-florans.html
 
3 août 2016 : Nuits Musicales en Armagnac, Abbaye de Flaran.
www.nma32.com/#!blank/boj7w
 
Autres concerts :
 
29 juin 2016 : Piano à Riom, Salle Dumoulin – Mozart, Concerto n° 14 ; Romain Desjonquères, Divertimento pour piano et orchestre à cordes (en création mondiale) avec l’Orchestre d’Auvergne sous la direction de Robert Forés Veses.
piano-a-riom.com/59-festival-classique-francois-dumont-et-l-orchestre-d-auvergne--concert-de-cloture.html
 
13 juillet 2016 : Musicales des Coteaux de Gimone (Gers) – Bach, Chostakovitch / www.musicalesdescoteaux.fr/festival2016/francois-dumont  
14 septembre 2016 : Festival de musique de Besançon, Kursaal – Bach, Ravel /
16 septembre 2016 : Centre Dramatique National de Besançon ; spectacle Ravel avec Claude Duparfait / www.festival-besancon.com
 
Avec le Trio Elégiaque :
29 juillet : Festival Messiaen au Pays de la Meije – Ravel, Kagel, Alain Gaussin / www.festival-messiaen.com
 
 
Site de François Dumont : 
www.francoisdumont.com

Photo © Jean-Baptiste Millot
 

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