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Inon Barnatan au 35ème Festival Piano aux Jacobins – Le bonheur de transmettre – Compte-rendu

inon barnatan 2014
Fidèles à leurs habitudes, Catherine d’Argoubet et Paul-Arnaud Péjouan, les co-directeurs artistiques de Piano aux Jacobins, ont réservé une bonne place cette année à des pianistes de la nouvelle génération encore peu connus en France. Deux jours après le Suisse Teo Gheorghiu dont le récital, à l’évidence, a fait très forte impression, c’est au tour d’Inon Barnatan de s’installer sur la scène dressée dans la salle capitulaire.

Pas décidé, silhouette tonique, sourire aux lèvres, ce trentenaire offre l'exact contraire de certains collègues qui semblent se diriger vers le clavier en portant toute la douleur du monde sur leurs épaules. On va vite comprendre qu’un intense bonheur de donner, de transmettre la musique, anime Inon Barnatan.

Né en 1979 en Israël et installé aux Etats-Unis (où il a récemment été nommé 1er Artiste en résidence au New York Philharmonic), Barnatan a travaillé auprès de Maria Curcio et de Leon Fleisher. Il a surtout fait son miel de l’enseignement de ces deux grands maîtres et présente un jeu d’une plénitude rare conjuguant une grande richesse des couleurs avec une clarté et une mobilité extrêmes.

La Toccata en mi mineur BWV 914 illustre d’emblée ces qualités. L’expression, la dimension pianistique totalement assumée ne s’opposent en rien au style : on a tout la fois affaire à un peintre et à un architecte.

Autant dire à ce qu’il faut pour réussir le Prélude, Choral et Fugue de Franck. Moment fabuleux : Barnatan n’oublie jamais l’univers de l’orgue qui nourrit tant ici l’inspiration du compositeur. Sur des basses profondes s’édifie une interprétation au long de laquelle le pianiste parvient à une véritable registration, soignant la netteté des plans des sonores dans un propos d'une grande vitalité. Une réussite à laquelle le Steinway admirablement préparé par François Petit contribue aussi.

Bien rare dans les programmes, la Sonate de Samuel Barber aurait vite fait d’y trouver sa place si tous les pianistes la défendaient avec autant de conviction que Barnatan ! Des timbres foisonnants, un « peps » irrésistible, jamais tape-à-l’œil : on est de part en part saisi par l’autorité (quelle fugue conclusive !) et l’imagination sonore avec lesquelles l’Opus 26 se déploie sous ses doigts.

Le climat change en seconde partie avec la Sonate D. 959 de Schubert. Humanité, lyrisme, sens de la grande ligne – l’une des qualités premières de Barnatan - trouvent à s’exprimer, dans la plus totale simplicité. Rien de trop et un tempo parfait dans le mouvement lent où s’illustre un art consommé des transitions. Un Schubert d’une poésie infinie, sans une once de pleurnicherie, jamais forcé, mais intensément pudique et émouvant : Barnatan a la passion de transmettre certes mais, comme tous les grands interprètes, il sait où est sa place.

Le public de Piano aux Jacobins (au passage, la proportion de jeunes auditeurs présents ici pourrait donner à réfléchir à pas mal de politiques et "décideurs" qui persistent à faire rimer classique, élitisme et cheveux gris  …) ne s’y trompe pas et réserve un triomphe à Inon Barnatan. Le Rondo capriccioso de Mendelssohn, d’une jubilatoire luminosité, et l’Impromptu op. 90 n° 3 de Schubert, murmuré avec un confondant art du legato, concluent la soirée. Du bonheur à l’état pur.
 
Alain Cochard
Toulouse, Cloître des Jacobins, 12 septembre 2014
Festival Piano aux Jacobins, jusqu’au 30 septembre : www.pianojacobins.com

Photo © Marco Broggreve

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