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Inauguration de l'orgue relevé de Saint-Séverin - D'Alfred Kern à Quentin Blumenroeder - Compte-rendu

Conçu par Michel Chapuis et réalisé en 1963-1964 par Alfred Kern et Philippe Hartmann, l'orgue de Saint-Séverin (59 jeux sur quatre claviers et pédalier) marqua une étape importante dans l'évolution de la facture d'orgue française, puisant à la source plurielle de l'orgue ancien l'idée d'une synthèse en réalité très contemporaine. L'instrument tel que l'histoire nous l'a transmis présente de nombreuses strates, que le présent grand relevage a permis de dater plus précisément. Si certains tuyaux remontent au XVIe siècle, l'ensemble porte témoignage de toutes les époques successives dans un buffet « unificateur » de style Louis XV (1745), également restauré. L'orgue Kern eut pour ambition de concilier la facture française classique, pour jouer Couperin, Grigny ou Marchand, et ce que requiert la musique de Bach. Le modèle historique devenait source d'inspiration, nullement un carcan, élargissant de facto l'horizon – la musique contemporaine aurait elle aussi sa place à Saint-Séverin. De grands noms de l'orgue, outre Michel Chapuis, œuvrèrent à cette tribune dès lors dotée de plusieurs cotitulaires, dont André Isoir, Francis Chapelet et Jean Boyer.

C'est cet orgue Kern, entièrement respecté, qui vient de faire l'objet d'un grand relevage : une nouvelle jeunesse au terme de presque cinquante années de bons et loyaux services. Trois manufactures y ont été associées : celle de Quentin Blumenroeder (qui en 2009-2010 a superbement restauré le Silbermann, 1709-1710, de Marmoutier), la Manufacture Thomas (Belgique – qui achève actuellement la reconstruction de l'orgue de la cathédrale de Monaco : inauguration le 11 décembre prochain), enfin Jean-Marie Tricoteaux, harmoniste de renom, chargé plus particulièrement à Saint-Séverin des jeux d'anches.

Le 6 novembre, jour de l'inauguration, était organisée une présentation de l'instrument et des travaux réalisés suivie d'un concert des quatre titulaires actuels. Dominique Thomas fit le récit du relevage et expliqua l'instrument, Michel Alabau lui répondant via l'improvisation, principalement dans le style français mais pas seulement, en illustrant les caractéristiques essentielles : à commencer par le grand plein-jeu, aussi confondant de gravité et de magnificence que lumineux et aérien, ample et équilibré ; puis le grand-jeu (chœur d'anches), bien présent mais sans excès. Juste ce qu'il faut pour sonner pleinement. Magnifique musicien et fin connaisseur des différents styles, Alabau offrit à lui seul un premier concert d'une radieuse élévation.

Prolongeant les explications quant aux possibilités de répertoire, les titulaires mirent l'accent sur les aspects les plus représentatifs – impossible, naturellement, d'en faire le tour en un concert. Ainsi Nicolas Bucher fit-il entendre la Première Sonate de Mendelssohn, prolongement presque naturel de l'orgue classique et néanmoins transition vers un autre univers, avant que Michel Alabau ne laisse la parole à Bach – à sa manière, en privilégiant, comme souvent au disque également, les jeux de fonds, de fait somptueux à Saint-Séverin, notamment les montres : Prélude et Fugue (transcrite de la Sonate pour violon seul BWV 1001, ici éminemment chambriste) en ré mineur BWV 539 ; trois Chorals (Leipzig) sur Nun komm' der Heiden Heiland, tout de noblesse et d'intériorité.

Christophe Mantoux associa à Marchand (Plein-Jeu, Basse de trompette et dessus de cornet, Cromorne en taille, Grand-Jeu) aussi bien Bach que Tunder, éclatant : la musique du XVIIe siècle sonne à merveille à Saint-Séverin, rayonnante de saveur et de présence, avant que François Espinasse ne montre combien la musique plus tardive peut également convaincre sur ce type d'instrument : deux extraits des Laudes de Jean-Louis Florentz, Deuxième Fantaisie – idéale de timbres et de climat – et Litanies de Jehan Alain, nécessairement singulières à Saint-Séverin mais non moins en situation.

Se pourrait-il que le souvenir de l'orgue de Saint-Séverin, peu entendu depuis déjà pas mal d'années, se soit graduellement modifié ? Certains auditeurs, connaisseurs, ont trouvé l'instrument changé – plus feutré. Question de mémoire, ou d'évolution du goût ? L'édifice est de dimensions à la fois amples (cinq nefs) et modestes (faible longueur) : l'instrument l'emplit magnifiquement sans qu'il soit besoin d'en forcer la moindre composante, élégance et raffinement de l'instrument ainsi restauré s'imposant au tout premier plan, assurément sans violenter l'oreille. Dès la première écoute, cette restauration semble musicalement et instrumentalement aboutie. Il reste à souhaiter qu'une vie musicale à la hauteur de l'instrument trouve les moyens et la volonté nécessaires à sa mise en œuvre, prolongement vital d'une telle entreprise de restauration.

Michel Roubinet

Inauguration de l'orgue relevé de Saint-Séverin, Paris, 6 novembre 2011

Sites Internet :

Quentin Blumenroeder, facteur d'orgues
http://blumenroeder.fr/

Manufacture d'orgues Thomas
http://www.orgues-thomas.com/website/
Jean-Marie Tricoteaux
, harmoniste et facteur d'orgues
http://www.tricoteaux.com/

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Photo : DR
 

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