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Iliade l’amour de Betsy Jolas au Conservatoire de Paris - Quand jeunesse veut – Compte-rendu

Découvrez la vie de Henrich Schliemann, et vous imaginerez déjà un roman, un film, une pièce de théâtre, un opéra... Personnage flamboyant autant que controversé, Schliemann est encore aujourd’hui associé à découverte de la légendaire cité de Troie.
 
Né en Allemagne en 1822 dans une famille de petite condition, Schliemann se prend très jeune de passion pour l’Antiquité, mais les hasards de la vie et plusieurs épisodes rocambolesques le poussent à devenir, pêle-mêle, négociant en gros à Amsterdam, banquier en Californie, marchant d’armes en Russie… Fortune faite, il se consacre enfin à sa passion de toujours : l’archéologie. Il réalise lui-même des fouilles en Grèce et en Turquie et découvre une cité antique qu’il imagine immédiatement être Troie, des bijoux qu’il présente comme ceux d’Hélène, le prétendu trésor du roi Priam… Évidemment, son amateurisme et son obsession pour les récits homériques - il nomme sa fille Andromaque et son fils Agamemnon - lui valent rapidement des ennuis. De nombreux scientifiques invalident ses thèses, l’accusent de falsification, mais surtout les autorités turques l’arrêtent pour vol de biens nationaux ! Immense scandale, son nom est traîné dans la boue, qu’importe la valeur de toutes ses trouvailles...

David Reiland et Betsy Jolas © Ferrante Ferranti

C’est à cette histoire rocambolesque que Betsy Jolas s’est attaquée pour la première fois en 1982 après avoir vu la pièce de théâtre Schliemann, épisodes ignorés de Bruno Bayen. Son opéra Schliemann sera créé en 1995 à l’Opéra de Lyon. Vingt ans plus tard, la compositrice se replonge dans cette partition pour en extraire un opéra de chambre, Iliade l’amour - une réécriture plus qu’une simple adaptation.
 
Un opéra de chambre où se mélangent fiction et réalité, histoire et mythologie, le fantasme romantique d’une légende face à la crudité de la vie moderne, de la rigueur scientifique, du quotidien de ces personnages bercés d’illusions et de mensonges… D'emblée, le spectateur comprend que la narration sera quelque peu bousculée, entre flashback et ellipses nombreuses. Malgré la mise en scène très claire, presque nue, d’Antoine Gindt, on peine parfois à saisir les liens entre chaque situation et leurs véritables enjeux. Quelques trouvailles dans le jeu des chanteurs donnent néanmoins de la vie et de la consistance à ces personnages tourmentés.
 
Plus qu’un livret poétique parfois bavard, celle qui porte le drame... c’est la musique. Betsy Jolas écrit ici une partition superbement colorée : avec sa formation originale (16 instruments dont 8 vents, aucun violon), elle semble jouer sur les alliages de timbres, les textures, et déploie une palette sonore surprenante. L’écriture vocale, parfaitement définie pour chaque rôle, séduit instantanément par sa richesse, sa beauté, et son sens de la prosodie. Celle qui ne se réclame d’aucune mouvance esthétique, aucune chapelle, et affirme simplement vouloir écrire “une musique belle qui sonne bien” réussit son pari et va même plus loin : une musique dense et théâtrale, presque grisante par son inventivité et son intelligence.
 
Le jeune chef belge David Reiland, par ailleurs directeur musical et artistique de l'Orchestre de chambre du Luxembourg, mais aussi premier chef invité et conseiller artistique de l’Opéra Théâtre de Saint-Etienne, porte à bout de bras cette partition - pour ne pas dire cette production - avec une attention extrême. Les chanteurs, étudiants au CNSM de Paris pour la plupart, impressionnent par leur professionnalisme tant ils semblent s'être emparés de leurs rôles et de la musique avec implication. Le baryton Julien Clément, seul de la distribution qui ne fasse pas partie du CNSM, endosse le rôle de l’excentrique Heinrich Schliemann à la perfection, faisant valoir un très beau timbre et une excellente projection. Remarquons également la soprano Marianne Croux qui tire son épingle du jeu dans le rôle techniquement très exigeant de Sophia (la femme de Schliemann), tandis qu’Anaïs Bertrand séduit en Andromaque, entre parlé et chanté, par sa voix de mezzo souple et chaleureuse et sa diction irréprochable.
 
Alchimie entre la musique d’une femme qui fête cette année ses 90 ans, et l’interprétation de jeunes musiciens au talent non pas “prometteur” mais bien réel, ce spectacle pouvait ressembler à une gageure : il n’en convainc que mieux.
 
Raphaël Dor

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Betsy Jolas : Iliade l’amour – Paris, Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (Salle d’art lyrique), 12 mars, prochaines représentations les 15 et 17 mars 2016 / www.conservatoiredeparis.fr/voir-et-entendre/lagenda/tout-lagenda/article/iliade-lamour/

Photo © Ferrante Ferranti

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