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Il Ritorno d'Ulisse in Patria par Les Paladins - Stimulant réveil - Compte-rendu

Deux ans après un Couronnement de Poppée de bout en bout habité et crédible, Les Paladins, toujours guidés par Jérôme Corréas, récidivent avec le Retour d'Ulysse dans sa patrie, confirmant de précieuses affinités monteverdiennes où l'intuition dramatique du metteur en scène Christophe Rauck a sa part (il s'agit d'une nouvelle production de l'ARCAL, avec tournée jusqu’au 2 juin en région parisienne et à Nice).
Mais d'abord, rappelons que dans la première moitié du Seicento, l'opéra invente en Italie une nouvelle manière de «dire l'homme, avec ses passions, ses urgences ». Un phénomène de société vibre là, qui change alors radicalement le visage de la musique occidentale, avec précisément le Crémonais comme maître d'œuvre.

Donc, résurrection de ce monument baroque il y a ici, pure de toute transposition moderniste (et on louera à cet égard les choix toujours chargés de sens de Christophe Rauck, chez qui le moindre signe se fait message, emblème ; telle la perruque dorée de Minerve, élevée au rang d'attribut divin).
Dans cet esprit, l'inventivité devient l'arme majeure de la reconstitution, avec une interprétation qui est d'abord peinture du mot, chaque acteur étant une incarnation plutôt qu'un emploi. Ainsi de Françoise Masset qui concilie juste style et juste son dans les rôles de l'allégorique Fortune, puis du fidèle serviteur Eumée, campé, non sans humour, avec petit chapeau et canne à la main.

Reste le plus signifiant pour la fin. D'abord, Minerve à laquelle Dorothée Lorthiois prête sa rayonnante personnalité et son soprano imparable; et, tout autant, l'émouvant Ulysse de Jérôme Billy, servi par une rare sobriété expressive et une italianité puisée aux meilleures sources.
Trois bons points également pour les Prétendants (surtout l'Eurymaque de Carl Ghazarossian) et un laurier d'excellence pour la Pénélope si diverse de Blandine Folio Peres, du récitatif obsessionnel de la scène liminaire du premier acte à l'heureux accomplissement du duo conclusif (avec Ulysse) de l'acte 3, plasticité et dramatisme intimement mêlés. Seul, le rôle du goinfre Iro est à la limite de la transgression, par la faute de Matthieu Chapuis, surdoué bouffe s'il en est, mais qui en fait des tonnes dans la charge. Reste que cette réserve ne pèse guère, face aux très nombreux bonheurs d'écoute (aux voix comme aux instruments) dont est riche le présent spectacle ; assurément l'une des deux ou trois lectures vraiment innovantes (1) de ce monument d'humanité qu'est le Retour; sans préjudice pour la gloire d'une Incoronazione aujourd'hui présumée plus que jamais monteverdienne.

Roger Tellart

(1) relevons-y aussi la citation du fameux Hor che'l Ciel e la Terra tiré du 8ème Livre de madrigaux de 1638, ainsi que du Ballo Volgendo il Ciel du même recueil et du Ballo Tirsi e Clori, emprunté au 7ème Livre.

Monterverdi : Il Ritorno d’Ulisse in Patria - 8 février, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, tournée Arcal jusqu’au 2 juin 2013 (Vélizy Villacoublay, Massy, Saint-Denis, Nice). Calendrier des représentations sur www.arcal-lyrique.fr)

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Photo : DR
 

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