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Idoménée au Théâtre des Champs-Elysées - Sacrée musique ! - Compte-rendu


Premier vrai chef-d’œuvre lyrique d’un Wolfgang de vingt-quatre ans piaffant d’impatience de montrer ce dont il était capable en 1780, Idoménée est idéal pour ouvrir le cycle annuel consacré désormais à Mozart par Michel Franck au Théâtre des Champs-Elysées. Pas du tout pour des raisons de respect d’une vaine chronologie, mais parce qu’il y a déjà là en germe tous les opéras à venir de la glorieuse dernière décennie de vie du compositeur, Flûte enchantée comprise. L’Empereur avait entendu juste lorsqu’il avait gourmandé Mozart avec son fameux : « trop de notes ! » Allez donc arrêter l’Amazone !

C’est que deux ans plus tôt, à Paris en 1778, Mozart avait eu la révélation des chœurs somptueux de son compatriote Gluck attaché alors à réformer la tragédie lyrique française expirante, et de la virtuosité orchestrale du Concert Spirituel comme de ses amis instrumentistes de Mannheim. Du coup, le vieux cadre de l’opera seria explose, malmené par la poussée de sève mozartienne : déjà passent les silhouettes lumineuses de la Comtesse, de Constance, de Pamina à travers la rayonnante Ilia, comme l’ombre menaçante de la Reine de la Nuit dans les fureurs d’Electre, voire l’orchestre dominateur du Don Giovanni.

Et puis, c’est ce même Idoménée qui révéla un nouveau chef mozartien, Jérémie Rhorer (photo), un soir de juillet 2006 au Festival de Beaune où Anne Blanchard avait su lui donner sa chance et les jeunes chanteurs qu’il méritait. Le premier des grands opéras de Mozart avait retrouvé sa modernité et son enthousiasme juvénile : une rencontre rare qui s’exprimait dans le fait tout simple que le chef articulait lui-même tous les mots des chanteurs suivis et tenus à la syllabe près. C’était aussi les débuts du Cercle de l’Harmonie, des baroqueux au jeu souple et à l’âme généreuse réunis par Rhorer et son violon solo Julien Chauvin.

Bientôt, Jeannine Roze et Michel Franck vont leur faire confiance et les inviter au Théâtre des Champs-Elysées. Les voici donc cette fois confrontés au spectacle total où la belle intimité poétique de Beaune est rompue par la montée de la troupe sur le plateau entre les mains d’un nouveau venu le metteur en scène. Le baptême du feu en somme ! Le tissu musical en est un peu distendu : Rhorer va devoir reprendre en mains les rênes du temps que la scénographie allonge dangereusement. Question de rodage, car tous les éléments musicaux sont là : l’orchestre, bien sûr, le magnifique chœur Les Eléments de Joël Suhubiette et une distribution de haut vol à une exception près.

Si l’Ilia de la soprano de Sophie Karthäuser, nous transporte, l’Idamante de la mezzo de Kate Lindsey ne nous émeut pas moins et leur duo flambe comme il se doit. L’Electre de la soprano Alexandra Coku est de plus grosse toile, mais la direction d’acteurs à la serpe de Stéphane Braunschweig, adepte de la psychanalyse de supermarché, ne lui rend pas service : comme si le bon peuple ignorait que la fille de Clytemnestre et d’Agamemnon avait des problèmes de libido ! Mozart qui a raté Freud à un siècle près, s’en doutait déjà et le dit en trois notes. De grâce, ne surlignez pas M. le maître d’école !

Les ténors, à commencer par le roi de Crête de l’admirable Richard Croft suivi de près par l’Arbace de Paolo Fanale seraient au zénith, si le grand prêtre n’était pas si grand que cela : nous n’avons pas reconnu en tout cas l’Ecossais Nigel Robson sorti tout droit du Sceptre d’Ottokar… La scénographie a encore frappé. Il faut dire qu’elle est gratinée. Le metteur en scène, même s’il est à côté de la plaque, fait du moins des efforts pour imposer une direction d’acteurs. Le linoléum pisseux des éléments de décors mobiles sort d’une grande surface un jour de solde. Quant aux costumes – d’aujourd’hui – on espère qu’ils n’ont pas été facturés à Michel Franck, car à ce compte-là, chaque chanteur pouvait amener le sien. A l’exception, bien sûr, du susdit grand prêtre et de ses sept sbires habillés par Hergé…

Le miracle, c’est que Mozart en sorte tout de même vainqueur… pour peu qu’on se contente d’écouter sa musique et de regarder les surtitres.

Jacques Doucelin

Mozart : Idomeneo – Paris - Théâtre des Champs-Elysées, 15 juin, prochaines représentations : 17, 19, 21, 22 juin 2011.
www. theatredeschampselysees.fr

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Photo : DR

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