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Henri Barda aux Concerts de Monsieur Croche – Chopin en toute liberté – Compte-rendu

Un concert d’Henri Barda (photo) ne ressemble à aucun autre. En effet, ce pianiste héritier de la plus grande tradition pianistique (il fut formé au Caire par Ignaz Tiegerman, disciple de Theodor Leschetitsky et d’Ignaz Friedman, puis à Paris par Lazare-Lévy) a longuement médité sur l’art du clavier et tout particulièrement sur l’interprétation de Chopin, compositeur qui occupe la totalité d’un récital inscrit dans la saison des « Concerts de Monsieur Croche » à Gaveau. Une série lancée en octobre avec Vladimir Felstman et qui accueillera par la suite Lukas Geniušas, Martial Solal, Pavel Kolesnikov, Idil Biret, Kun Woo Paik et Maha Esfahani.
 
Ce qui frappe de prime abord, c’est la densité du jeu et un équilibre souverain qui fait la part belle à la polyphonie et au sens mélodique. Les 3 Impromptus et la Fantaisie-Impromptu gardent, malgré une certaine nervosité due au trac, une ligne et une perfection de ton qui n’excluent jamais la liberté par leur caractère haletant et intense. Superbe Barcarolle, architecturée, qui se déroule telle une narration, pleine d’imagination, où la profondeur et la fluidité portent témoignage d’une pratique sans cesse remise sur le métier. La Sonate « Funèbre » plonge dans les abîmes avec un final d’un contrôle absolu qui laisse entendre derrière les notes toute la dimension prophétique du vent qui souffle sur les tombes.
 
Seconde partie de la même veine : dans les 1ère et 4ème Ballades, le sens du discours se place toujours au service de la musicalité, fil d’Ariane qui se développe et s’amplifie jusqu’aux accélérations de codas mues par une fougue juvénile. Les quatre mazurkas (choisies dans le corpus médian) du compositeur possèdent un élan, un sens rythmique et une émotion qui tirent des larmes. Enfin, dans la Sonate n°3 en si mineur, Barda fait montre d’une fébrilité et d’une tension à la limite du soutenable en un piano orchestral aux sonorités d’airain mais toujours souple d’élocution. Merveilleux récital qui s’achève entre le mystère d’un nocturne et l’emballement d’une valse, rappel de la proximité de l’interprète avec l’univers de la danse.
 
Michel Le Naour

Paris, Salle Gaveau, 20 novembre 2018 / Récital de Lukas Geniušas le 5 décembre 2018 / concertsdemonsieurcroche.com/
 
Photo © Jean-Baptiste Millot

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