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Future Memories par le Ballet National de Norvège au Festival Transcendanses - Le goût du fin - Compte rendu

ballet de norvège 2014
 
 
Surprise, surprise : on s’attend toujours, en voyant des compagnies nordiques, à ce qu’elles s’expriment avec cette vigueur quasi expressionniste imposée par Birgit Cullberg et Mats Ek, dès qu’elles sortent du classicisme souvent le plus vidé de son sens, au Danemark excepté. Et là, voici que cette troupe  de 59 danseurs venus de 20 pays, et notamment le Japon, dont est issue la plus belle soliste de la compagnie, Maiko Ishino, se glisse dans la subtilité aigue, dans le monde onirique de Jiri Kylian, le tchèque qui s’est construit un empire de gestique étrange et poétique, capable de chatouiller des zones du cerveau peu en alerte chez le public, français tout au moins.
 
Les Néerlandais en ont fait leur grand homme, mais aujourd’hui Kylián a quitté son port d’attache du Nederlands Dans Theater à La Haye et trouvé  à Oslo une terre d’accueil moins contraignante. La directrice du ballet norvégien, Ingrid Lorentzen, en poste depuis deux ans, a donc inscrit à ce programme dédié au seul Kylian sous le titre de Future memories , trois pièces majeures de cette œuvre abondante, inégale certes, mais toujours surprenante, et surtout qui permettent de voir évoluer sa manière de 1978 à 2008, en passant par un ballet que nous connaissons bien, Bella Figura, vu et revu à l’Opéra de Paris.

Musiques sublimes, Marcello, Torelli et Pergolèse pour Bella Figura (photo), donc, Quatuor op.18 n° 1 de Beethoven pour Gods and Dogs, Symphonie de Psaumes de Stravinski pour le ballet éponyme, chorégraphies sinueuses, satinées, avec des duos d’une extrême sensualité et des ensembles dessinés au cordeau, car Kylian est un homme de tracé, dont les maquettes doivent être admirables, contrairement à un Béjart qui ne fut qu’emprise dramatique et élan scénique. Tout est ici pensé, pesé, même si l’on s’avoue ne généralement rien comprendre à ce que disent ses ballets. Mais s’en dégage un tel charme ambigu qu’on n’a qu’à se laisser porter doucement, et déporter vers on ne sait où, tandis que l’individualisation des danseurs, à laquelle le chorégraphe prétend, se dégage lentement du puzzle.

Les danseurs de la très belle compagnie habitent superbement cet univers, leurs corps sont des roseaux qui ploient et se déploient comme dans un rêve souvent cruel. Et ce fut une bonne idée que de finir sur la Symphonie de Psaumes, datée de 1978, car chez Kylián, comme chez beaucoup d’autres, les coups d’envoi furent les coups du plus grand génie. Rigueur graphique, vigueur gymnique, répétition sacramentelle des croisements entre les personnages, sur une symphonie de tapis rouges en toile de fond, avec la musique râpeuse et obsessionnelle de Stravinski, une vraie secousse que ce ballet.
 
 Jacqueline Thuilleux
 
P.S. On ne se lamentera jamais assez de ce que les spectacles de ballets dédaignent d’indiquer quelle interprétation discographique ils ont choisie pour les œuvres musicales qu’ils utilisent. Ceci tout particulièrement pour le Quatuor de Beethoven dans Gods and Dogs, merveilleusement joué. Cela devrait figurer dans tous les programmes.
 

Festival TranscenDanses, Ballet National de Norvège – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 24 septembre 2014

© Erik Berg
 

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