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Flexible Silence par Saburo Teshigawara au Théâtre de Chaillot – Zénitude – Compte-rendu

Etrange de placer sous le signe du silence une pièce dont le propos essentiel est de pénétrer l’essence de la musique. Tel est l’enjeu, et avec l’étonnant Saburo Teshigawara, qui domine depuis trente ans une certaine danse contemporaine, on ne s’étonne pas qu’il soit tenu. Celui qu’on a vraiment envie d’appeler un maître ne se noie pas dans les détails : il parle de la vie, de la mort, mais non en termes anecdotiques ou réalistes, il va droit à l’essentiel, la perception du monde, le souffle, les limites du corps ou au contraire sa perméabilité au cosmos.
 
Pas une image de trop dans ce Flexible Silence, pour lequel il a choisi une série de pièces de Takemitsu, outre la Fête des belles eaux de Messiaen, confiées à des membres de l’Ensemble Intercontemporain, et à quelques élèves du CNSMDP en renfort. On connaît la gestique de Teshigawara, qui a tant impressionné les danseurs classiques de l’Opéra de Paris, amenés à travailler avec lui. On sait qu’ils y ont découvert une liberté inattendue, un mode d’expression inouï par la descente qu’ils effectuent à la source du mouvement corporel. Le miracle étant que dans le travail du Japonais, ce travail prodigieux des bras, des épaules, ces cambrés, ces tournoiements du torse et des jambes, si ils semblent n’avoir plus rien d’humain et se déploient comme algues, roseaux brassés par l’écume ou le vent, demeurent un vrai spectacle et non une seule recherche intime.

© Kotaro Nemoto

Homme de scène autant que de pensée, Teshigawara ne laisse rien au hasard, et son rapport à la lumière, la perfection des éclairages conçus par lui, ajoutant au symbolisme de gestes laissés en l’air comme des pinceaux arrêtés dans leur élan, composent une calligraphie qui malgré sa perfection formelle, parvient à émouvoir. Ici il cherche le silence dans la musique, dans sa résonance, dans son origine mystérieuse qui se prolonge en nous, et on n’oubliera pas le sublime solo de Rihoko Sato, accompagnée par la flûte d’Emmanuelle Ophèle. Ses ondulations, ses glissements semblent issus directement des notes et de leurs courbures. La flûte danse, le corps bruit.
 
Mais tout n’est pas aussi évident d’approche : on est d’abord saisi par la virtuosité du maître, qui décompose ses gestes en une symphonie où le mouvement  engendre une sorte de statisme, comme la musique crée le silence qu’il recherche. On est émerveillé, puis un peu ennuyé, on ferme un œil. Quand on le rouvre, on est à nouveau ébloui par la forêt vivante  en marche sur la scène, on s’essaie à l’intelligence, on tente de comprendre, et le voile se lève légèrement. Puis le caractère répétitif s’abat à nouveau sur l’occidental peu habitué à une telle attention, avant que la fascination ne revienne. On croit enfin avoir compris quand deux corps qui ne se sont pas touchés pendant une heure quarante se rejoignent enfin, en une figure que notre philosophie de comptoir trouve proche du yin et du yang. En fait on est certainement loin du premier cercle, et c’est normal quand il s’agit de mentalité japonaise. Mais on est atteint au plus profond par tant de beauté, de concentration. Tout ici nous est profitable.
 
Jacqueline Thuilleux 
Flexible Silence (chor. S. Teshigawara / mus. Messiaen et Talemitsu) – Paris - Théâtre National de Chaillot, 23 février ;  prochaines représentations, les 28 février, 1er, 2, et 3 mars 2017 / theatre-chaillot.fr/saburo-teshigawara-ensemble-intercontemporain-flexible-silence // www.st-karas.com/index_en/
 
Photo © Akihito Abe

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