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Festival Messiaen au Pays de La Meije - Messiaen face au ciel - Compte-rendu

Depuis dix-huit ans déjà, le village de La Grave accueille chaque été, autour de la musique d'Olivier Messiaen (1908-1992), l'un des festivals les plus originaux et chaleureux de l'été musical. En un geste grandiose, Gaëtan Puaud, le fondateur et directeur du festival, avait souhaité faire entendre Et expecto resurrectionem mortuorum face au glacier de La Meije, répondant à un vœu du compositeur qui rêvait d'entendre son œuvre dans ces « paysages puissants et solennels » auprès desquels il l'avait en grande partie écrite. Cinquante ans après la création – à la Sainte Chapelle à Paris, puis en la Cathédrale de Chartres – Gaëtan Puaud a ainsi invité l'Orchestre philharmonique de Strasbourg (photo) à s'associer à ce projet d'interprétation in situ.
 
Événement exceptionnel à sa création, tant par le caractère officiel de la commande (passée directement par le ministre André Malraux) que par l'effectif inhabituel (vents, cuivres et percussions). Il avait fallu alors recruter un orchestre ad hoc, incluant les membres des Percussions de Strasbourg, nouvellement créées. Tout aussi exceptionnel se révèle le projet du Festival Messiaen cette année, en ce qu'il cherche à sortir la musique de sa « zone de confort », quitte à affronter les aléas d'une exécution en plein, à 2400 mètres d'altitude. Le premier orage depuis des semaines a ainsi éclaté à quelques minutes seulement de l'heure prévue du concert, provoquant son annulation... Marko Letonja a certes pu diriger l'œuvre dans l'après-midi lors de la répétition générale, mais pour son premier contact avec cet espace sublime – mais acoustiquement délicat – et malgré la précision du geste et la prudence du tempo, la musique de Messiaen a paru quelque peu timide. Qui sait ce qu'aurait donné le concert, s'il avait pu avoir lieu ?

Gaëtan Puaud ( à g.) et François-Bernard Mâche ( à dr.) © Colin Samuels

Plus sagement abrité dans l'église de La Grave et quelques autres lieux alentour, le reste de la programmation s'est déroulé sans accroc, avec notamment un parcours exhaustif de l'œuvre vocale de Messiaen et un hommage au compositeur François-Bernard Mâche (né en 1935), qui fut au Conservatoire de Paris élève de la très fameuse « classe de Messiaen ». Cet hommage aura notamment permis d'entendre un diptyque original : Korwar (1972) et Temes Nevinbür (1973) partagent la même bande magnétique, compilation de voix humaines ou animales et des bruissements de la nature, et leur associent respectivement le clavecin puis deux pianos et percussions. Ce sont deux façons de pénétrer le foisonnement sonore du monde : sous les doigts de Matthieu Dupouy, le clavecin (étrange objet musical que ce « clavecin moderne » à deux claviers, d'ailleurs pas franchement convaincant dans les pièces de Couperin et Bach qui précédaient) se heurte frontalement aux sons enregistrés. Dans Temes Nevinbür, les musiciens (Géraldine Dutroncy  et Dimitri Vassilakis aux pianos, Gilles Durot et Samuel Favre aux percussions) tirent profit d'une écriture variée qui vient non sans humour se superposer au matériau enregistré.
 
Cette édition 2015 a aussi été marquée par trois créations. Donnée trois jours auparavant au Carnegie Hall de New York par l'ensemble Yarn Wire, Travel Notes de Tristan Murail (né en 1947, et qui fréquenta lui aussi la classe de Messiaen) a donc connu sa première audition européenne au Monêtier-les-Bains. Comme le précise le compositeur, l'œuvre adopte la forme du rondo, avec retour d'un « refrain » bâti sur le dialogue et l'interpénétration des résonances des deux pianos. Rien de bien original quant à la forme donc, mais un sens de l'à-propos instrumental fascinant : ce sont les modifications de timbres tout autant que les changements de rythme, impulsés par les percussions, qui font avancer l'œuvre et en changent l'éclairage. Le travail d'orfèvre des quatre musiciens (ceux de Temes Nevinbür) révèlent l'alchimie heureuse de Tristan Murail.

 

Le Quatuor Béla © Colin Samuels
 
Le Deuxième Quatuor de Frédéric Pattar (né en 1969) et Vertical Speed de Laurent Durupt (né en 1978) étaient donnés en création mondiale. Ces compositeurs de la jeune génération (celle dont les maîtres – Gilbert Amy pour l'un, Allain Gaussin pour le second – furent eux-mêmes élèves de Messiaen) créent dans leur œuvre une dramaturgie purement instrumentale. Elle est d'une extrême finesse dans le quatuor de Frédéric Pattar où chaque musicien devient soliste à son tour, avec son propre caractère et sans que jamais l'œuvre ne revienne sur ses pas : le paysage sonore s'élargit progressivement à ce jeu de regards croisés, que l'on devine écrit sur mesure pour l'excellent Quatuor Béla, tout autant impeccable dans l'écriture rectiligne de François-Bernard Mâche (Eridan, 1986) que dans les variations mélodiques et harmoniques de Benjamin Britten (Quatuor n°2, 1945).
Laurent Durupt a quant à lui écrit une pièce où les gestes instrumentaux sont davantage soulignés, destinée à de jeunes musiciens de la classe d'interprétation contemporaine du Conservatoire de Paris au cours d'un concert où figuraient également des œuvres de Pierre Boulez, Sofia Goubaïdoulina (très belle cohésion de la violoniste Eun-Joo Lee, de la violoncelliste Aurélie Allexandre et de l'accordéoniste Jean-Étienne Sotty dans Silenzio de la compositrice russe), Frank Bedrossian et Allain Gaussin (une interprétation engagée du quatuor Chakhra).
 
D'une manière générale, le festival fait la part belle aux jeunes artistes, comme en témoignait également la très belle interprétation de Vortex Temporum de Gérard Grisey par cinq étudiants du Conservatoire de Lyon et le pianiste Florent Boffard. Vingt ans après sa création, cette œuvre majeure, exploration du timbre et du temps musical, se révèle avec naturel par le jeu engagé et concentré de ses jeunes interprètes. Le Festival Messiaen avait déjà programmé l'œuvre, peu après sa création : elle était alors le présent de la création ; devenue un classique, elle continue aujourd'hui d'éclairer l'invention contemporaine.
 
Jean-Guillaume Lebrun
 
Festival Messiaen au Pays de La Meije, La Grave, les 16, 17, 18 et 19 juillet 2015.

Photo © Colin Samuels

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