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Festival « Le Paris des Orgues » - Double hommage - Compte-rendu

Concert-lecture pensé tel un hommage à Jehan Alain compositeur mais aussi épistolier de talent, le programme entendu à Saint-Étienne-du Mont le 23 mai s'est transformé en hommage à Marie-Claire Alain, disparue le 26 février dernier (Intrada a publié en 2007 l'intégrale Jehan Alain qu'elle avait donnée en quatre concerts de 2004, 2005 et 2006 sur cet instrument, portant à trois le nombre des intégrales que la grande Dame de l'orgue a laissées de l'œuvre de son frère si ardemment défendue) – ainsi qu'à Henri Dutilleux, lui-même disparu la veille du concert et proche, tant humainement que musicalement, de Jehan Alain (1911-1940).

Sur l'orgue conçu par Maurice Duruflé, Jean-Baptiste Robin (photo) – titulaire de 2000 à 2010 de l'illustre Clicquot de Poitiers et désormais l'un des quatre organistes de la chapelle royale de Versailles – fit entendre, après la véhémente Deuxième Esquisse (1945) de Marcel Dupré, un florilège subtilement élaboré d'œuvres avant tout intimistes de Jehan Alain, en alternance avec des lettres du compositeur lues par Benjamin François, directeur artistique du Festival Le Paris des Orgues, lui-même auteur d'un dialogue imaginaire entre Marie-Claire – à qui Isabelle Attali prêtait sa voix – et son frère aîné. Ponctué de quelques pages vocales et pour flûte, avec Isabelle Lagarde et Angèle Chemin, ce programme d'une riche émotion, tout en demi-teintes, était complété de pièces d'un autre format : Deuxième Fantaisie, mais aussi Deuils et Luttes, derniers volets des Trois Danses, avec une manière de fondu-enchaîné particulièrement saisissant entre la correspondance du temps de guerre et Deuils. Compositeur exigeant, Jean-Baptiste Robin fit également entendre Flamboiement, bref extrait (n°2) de son dernier cycle en date (2012) : Cinq versets sur le « Veni Creator ». Disciple de Marie-Claire Alain, avec laquelle il a intensément travaillé l'œuvre de Jehan, il a lui-même gravé une intégrale de l'œuvre d'orgue du musicien (Brilliant Classics, 2011), en partie à Saint-Étienne-du-Mont (où il a de même enregistré, pour Naxos, un remarquable CD de ses propres œuvres, dont l'imposant cycle Cercles réfléchissants de 2007-2008) – le coffret Alain Jehan renfermant par ailleurs un fascinant témoignage (1937 ou 1938) de Jehan Alain organiste : Les Fêtes de l'année israélite, à l'orgue et avec les Chœur et Orchestre de la synagogue de la rue Notre-Dame de Nazareth à Paris, sous la direction de Léon Algazzi.

À travers ce concert revivait toute une époque de la musique française et son corollaire littéraire, la correspondance complétant de manière singulière le portrait du compositeur. On pourra aisément prolonger l'exploration de Jehan Alain épistolier – et dessinateur – à travers le riche et bel ouvrage que sa nièce, l'historienne Aurélie Decourt, fille de Marie-Claire Alain, lui a consacré en 2005 chez Comp'Act, lui-même prolongé par Le Livre du Centenaire, paru en 2012 aux Presses Franciliennes dans la foulée des manifestations de 2011 à Saint-Germain-en-Laye.

Une semaine plus tard, et sur un instrument trop rarement entendu : celui de la très imposante église Saint-Vincent-de-Paul, place Franz Liszt, Yoann Tardivel, premier grand prix du Concours Xavier Darasse de Toulouse en 2008 et actuellement professeur-assistant au Conservatoire de Bruxelles au côté de Bernard Foccroulle, offrait un programme axé sur la personnalité du grand facteur Aristide Cavaillé-Coll tel que perçu par différentes générations de compositeurs. Pédagogue affirmé, le musicien présentait en tribune chacune des œuvres du programme, cependant que son jeu était retransmis sur grand écran.

César Franck fut tout d'abord à l'honneur avec son Choral n°2, joué uniquement sur les jeux de l'instrument construit par Cavaillé-Coll en 1852 – il a par la suite été augmenté par Danion-Gonzales (1970), et force est de reconnaître que si la base Cavaillé est d'une grande beauté, on perçoit sans difficulté que d'autres ont fait évoluer l'instrument dans une autre direction. Interprétation magistrale en termes de déclamation et de grandeur musicale, d'une absolue sobriété, presque désireuse de fuir les effets susceptibles de détourner l'écoute de la seule substance musicale. Deux œuvres récentes s'ensuivirent, conformément à la carte blanche donnée aux jeunes musiciens conviés par le Festival (cf. Actualité du 21 mai 2013) : Alluvions en flamme (titre inspiré de René Char) de Thomas Lacôte, lui-même présent et qui retraça en quelques mots la motivation de cette œuvre riche d'interrogations, sorte d'étude des rapports de timbres en regard de l'acoustique du lieu, œuvre par nature changeante dès lors que l'on passe d'un orgue, donc d'un lieu, à un autre – et particulièrement apte à mettre en valeur la palette de l'orgue choisi, sa capacité de projection dans l'espace et dans le temps : celui de la réponse du lieu ; puis, de Benoît Mernier, Choral « Le Don des Larmes » (2009), pièce d'envergure écrite – pour ainsi dire de manière restrictive – en fonction des possibilités d'un grand orgue Cavaillé-Coll, et plus particulièrement celui de Saint-Sernin de Toulouse : un remarquable défi pour un compositeur qui par sa seule écriture, contemporaine, et sans élargir le champ des possibilités « physiologiques » de l'instrument en « actualise » l'esthétique par le biais de son propre langage.

Autre et ultime évocation de l'univers Cavaillé-Coll, en l'occurrence celui de la Trinité à Paris : l'orgue d'Olivier Messiaen, à travers son premier cycle, L'Ascension (1933-1934), où l'esthétique symphonique se trouve encore pleinement magnifiée. Même quasi-« austérité » dans le traitement instrumental : le strict nécessaire sans aucune tentative de briller à la première personne – et Dieu sait si les célèbres Transports de joie peuvent s'y prêter ! –, une écoute aussi concentrée qu'éveillée, en particulier dans les Alléluias sereins d'une âme qui désire le ciel, bien qu'avec une énergie privant l'œuvre d'une part de son mystère. Ainsi dans la première de ces quatre « méditations symphoniques » : Majesté du Christ demandant sa gloire à son Père, plus tonique que le « Très lent et majestueux » stipulé, et plus encore dans la dernière, Prière du Christ montant vers son Père – « Extrêmement lent, ému et solennel ». Cette pièce ultime, en forme d'irrésistible ascension, finit dans l'intangible : il faut un certain cran et une véritable exigence musicale pour finir un récital sur un tel renoncement à l'éclat instrumental – naturellement « compensé » par l'insigne élévation musicale. Yoann Tardivel est assurément de ceux qui cherchent à transmettre ce que la musique a de plus intensément communicable, comme l'aurait sans doute formulé Messiaen.

Le Festival 2013 refermé, Le Paris des Orgues prolonge son action, notamment pédagogique, avec le soutien de la Ville de Paris et du Rectorat de l'Académie de Paris, les 13 et 18 juin prochains avec deux concerts dédiés aux et avec les enfants des écoles : à Saint-Paul-Saint-Louis puis au Val-de-Grâce. Quant à la découverte des innombrables instruments de la capitale, elle se poursuivra les 14 et 15 septembre, à l'occasion du week-end du Patrimoine, lors d'un nouveau Marathon des Orgues.

Michel Roubinet

Festival Le Paris des Orgues, concerts des 23 (Saint-Étienne-du-Mont) et 31 mai (Saint-Vincent-de-Paul) 2013

Sites Internet :

Le Paris des Orgues
http://s432223733.siteweb-initial.fr

Jean-Baptiste Robin
http://www.jbrobin.com/fr/bio_org.html

Yoann Tardivel
http://s432223733.siteweb-initial.fr/organistes/tardivel-yoann/

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Photo : DR
 

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