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Festival International de Colmar - Entre ombre et lumière – Compte-rendu

Pour sa 26e édition, le Festival International de Colmar et son directeur artistique Vladimir Spivakov ont choisi de rendre hommage au légendaire maestro russe Evgeny Svetlanov (disparu en 2002) dont le charisme a tant marqué la manifestation alsacienne dans les années 1990.
 
Le récital de Grigory Sokolov (photo), par son originalité, s’inscrit parfaitement dans sa filiation tant le pianiste bouleverse les traditions et affirme une autorité de géant. On pourra toujours gloser sur sa manière d’aborder la Troisième Sonate de Chopin avec un sens du détail, des recherches d’ombre et de lumière qui oublient parfois la ligne et le rubato, mais quelle palette sonore et quel raffinement de timbre ! Il en va de même du bouquet de dix Mazurkas, toutes dans le mode mineur que le soliste offre au public en une seule coulée, tel un grand poème nostalgique où la mélancolie l'emporte sur la dimension chorégraphique. Technique imparable, contrôle absolu du clavier...  Quant aux bis, ils constituent une véritable troisième partie de programme : trois Impromptus et un Klavierstück de Schubert suprêmement dosés, d’une hauteur de vue impressionnante.
 
Climat très différent pour le concert de musique de chambre donné auparavant par le Quatuor Sine Nomine et la harpiste Marie-Pierre Langlamet. La transcription virtuose et diaphane pour harpe seule de pièces pour piano de Debussy constitue un hors-d’œuvre. Le Quatuor à cordes du même permet aux Sine Nomine d’entrer dans le vif du sujet, offrant une lecture très subtile, à fleur de peau et sans aucun effet, tandis que les Deux Danses pour harpe, arachnéennes, bénéficient d’une interprétation poétique et rêveuse. Vient enfin le « Conte fantastique » Le Masque de la Mort Rouge d’André Caplet qui, idéalement servi, atteint une puissance évocatrice à la mesure du conte de Poe dont il s’inspire.
 
Le jeune Trio Dali a l’enthousiasme et l’élan chevillés au corps dans le Trio n° 43 de Haydn et le Trio « Dumky » de Dvorak. Sa vision très intériorisée du Trio op. 120 de Fauré participe non seulement d’une intelligence de conception, mais aussi d’une qualité instrumentale hors pair (le violon sensuel et dense de Jack Liebeck, la noblesse du violoncelle de Christian-Pierre La Marca et la clarté du jeu de la pianiste Amandine Savary). Une alchimie qui fait plaisir à voir et à entendre dans le Rondo « alla ungarese » du Trio n° 39 de Haydn, emporté par un souffle contagieux.
 

Vladimir Spivakov © DR

Soirée entièrement mahlérienne enfin avec l’Orchestre National Philharmonique de Russie (en résidence au Festival) sous la baguette de son directeur musical Vladimir Spivakov. Les Kindertotenlieder, chantés par un Matthias Goerne en pleine possession de ses moyens dramatiques, recèlent une force de persuasion et un sens expressionniste de la douleur. En revanche, la Symphonie n°1 « Titan » souffre d’une exécution plus proche du pathos slave que des couleurs d’Europe Centrale. Théâtrale (y compris par la gestuelle du chef), cette vision extérieure laisse sur sa faim après les pépites précédemment distillées.
 
Michel Le Naour
 
 
Colmar, Eglise Saint-Matthieu et Chapelle Saint-Pierre, 9 et 10 juillet 2014

Photo G. Sokolov © DR

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