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Festival de Musique de Dresde 2017 - Que la fête commence ! – Compte-rendu

D’un coup d’œil, la carte des lieux où la musique peut ici être reine laisse pantois: grandioses églises comme la célèbre Frauenkirche et ses vertes parois, l’Annenkirche, la Domkirche St. Marien, la Dreikönigskirche, la Martin-Luther Kirche, enfin la Kreuzkirche, qui accueillera l’Elias de Mendelssohn le 5 juin, palais comme le poétique im grossen Garten, délicieux quand il ne pleut pas, ou le Cosel, tout en grâce, lieux inattendus comme le Centre pour la thérapie régénérative et le Musée de l’Hygiène, châteaux de Wackerbarth et Pillnitz, outre l’incontournable Semperoper, centre musical historique de la cité. Une poussée, d’un trait de tramway, dans la cité ouvrière d’Hellerau (1), et son prestigieux Festspielhaus, permet aussi de renouer avec le passé fortement inventif de cette ville marquée par la révolution chorégraphique du début du XXe siècle, et d’y applaudir cette année par exemple, l’onirique Cloud Gate dance theater, fascinant groupe taïwanais.
 
Sans parler d’une résurrection – Dresde en est coutumière –, celle du formidable Palais de la Culture, fermé pendant cinq années pour une profitable entreprise de rénovation et qui rouvre ce printemps, permettant aux plus vastes formations orchestrales de s’épanouir comme il convient, grâce notamment à une acoustique rénovée. Malgré le charme des divers lieux de concerts, cette remarquable salle ultramoderne permet au festival de passer à la vitesse supérieure et offre les meilleures conditions d’écoute, que cogne la tempête ou qu’incendie le soleil, deux cas de figures qui dans la Florence de l’Elbe, se succèdent à la volée.

Jan Vogler, intendant du Festival de Musique de Dresde © Jim Rakete

Le Festival qui fête cette année ses quarante années d’existence, a pris en fait une nouvelle vitesse de croisière depuis que le violoncelliste Jan Vogler, parfait mélange de sérieux et de riche héritage germanique mêlé à une dynamique ouverte et brillante à l’américaine, en a pris la direction en 2008 ( en 2015, il a été prolongé à ce poste jusqu’en 2021). Enfant du pays, et il le fallait pour faire vibrer cette cité parfois qualifiée par les allemands eux-mêmes d’un peu bloquée sur ses positions, mais new yorkais d’adoption, Vogler, outre son vibrant archer, possède une énergie, un vouloir vivre en musique et un charisme qui lui ont ouvert toutes les portes. Sauf celles des journalistes français, qui s’obstinent à bouder cette manifestation unique en Allemagne, où le lyrique l’emporte sur la musique pure, quand il s’agit de festivals.
 
Le carnet d’adresses de Vogler, qui allie une jeunesse demeurée inaltérable à une riche expérience, et à un réjouissant anticonformisme- il fait ainsi toute une tournée avec Bill Murray mêlant poèmes et musique, dont Piazzola - est assez prodigieux, ce qui lui permet de fidéliser les plus grandes stars. Eclats de diamants donc : il en pleut cette fois avec Anne Sophie Mutter, Valery Gergiev, Vladimir Jurowski, Ivor Bolton, Waltraud Meier, Anna Prohaska, Christian Tetzlaff, Matthias Goerne, Bryn Terfel, Kristjan Järvi, outre les nouvelles coqueluches , les mavericks, comme les appelle Vogler, que sont  entre autres Jan Lisiecki, In Mo Yang, Niu Niu et l’éclectique Francesco Tristano. Tandis qu’alternent chambristes et symphonistes, notamment le London Philharmonic Orchestra, en résidence, et que l’Orchestre du Festival, créé en 2012, y prend ses marques, pour tenter de réveiller le légendaire Orchestre de Dresde, célébré au temps de d’Auguste le Fort .
 
Magnifique coup d’envoi cette année, donc, avec une Anne-Sophie Mutter (photo) plus souveraine que jamais, de plus en plus étrange et resserrée sur l’essentiel du message qu’elle dispense depuis 40 ans, date à laquelle elle faisait une entrée en scène mémorable au Festival de Salzbourg. Une manière de jubilé donc pour cette inclassable violoniste, joyau noir d’un concert commencé sur Nostalghia, longue méditation signée Takemitsu en 1987, en hommage à Andrei Tarkovski : l’archet serré, pénétrant comme une plainte acérée, avant de donner du Concerto en sol mineur de Bruch une vision tendue, vibrante jusqu’à l’extrême, tenue jusqu’à la plus infime nuance avant de se jeter dans la mêlée comme un pur sang furieux. Vraie pasionaria, elle menait véritablement le jeu orchestral que Fabio Luisi (photo), ici avec la Philharmonie de Zurich dont il est le directeur, semblait suivre autant que possible. Il s’est ensuite remis en selle avec le talent étrange qui est le sien, passant des nuances les plus raffinées aux éclats les  plus violents pour une  Symphonie n°4 de Brahms inhabituelle, sans cet axe de puissante harmonie qu’on aime à y retrouver, mais sans doute aussi un peu désarticulée par l’acoustique spéciale du plateau du Semperoper, plus faite pour les voix que pour l’orchestre.

Eva Maria Westbroeck & Valery Gergiev © Olivier Killig
 
Montée en puissance le lendemain avec Valery Gergiev et son cher Mariinsky, dont on ne peut que saluer la splendeur des cordes, et la richesse  expressive, tandis que les cuivres accusent  quelques failles. Gergiev était ici au cœur de son univers, cette musique russe qu’il défend de façon organique, ici pour la 5e Symphonie de Chostakovitch, où il a fait des prodiges de délicatesse et de lourdeur voulue, comme on le pratique aussi pour les symphonies de Mahler, allant de l’angoisse à la vulgarité provocante des rythmes militaires, de l’intense nostalgie au pointillisme chambriste le plus ténu : une performance avec un aussi vaste orchestre.
 
En seconde partie, des moments étonnants, car consacrés à des extraits de Wagner pour lequel on sait qu’il a une passion, laquelle il essaye de communiquer aux Russes. Et là, une perpétuelle remise en question agite l’auditeur, car contrairement à un Thielemann, dont les dresdois sont familiers, Gergiev vit Wagner en musicien plus qu’en dramaturge, ne lâchant jamais la prise d’une musique intensément romantique et modulée, ne permettant pas les instants de brisure, voire de vide, qui donnent à Parsifal ou au Crépuscule des Dieux leur dimension intellectuelle.
 
Puis vint Eva Maria Westbroeck, une des grandes Brünnhilde du moment, après avoir été la plus lyrique des Sieglinde, la plus rayonnante des Chrysothemis. Belle et grande silhouette, figure de fresque, envol triomphant d’une voix de plus en plus large et inspirée, elle a transporté l’auditoire, d’autant plus saisi que l’acoustique du Palais de la Culture, exceptionnelle, ne laissait rien passer de la grandiose montée au bûcher de la Walkyrie.

A Dresde qui éblouit autrefois le monde par son opulence baroque, la fête n’est jamais loin. A la sortie du concert d’ouverture, devant un public encore frémissant de la sensibilité déchirée d’Anne Sophie Mutter, un feu d’artifice crépita, illuminant les clochers qui frangent l’Elbe, comme l’eût voulu le grand électeur de Saxe, Auguste le Fort. Etait-ce pour fêter le festival de musique classique, que Jan Vogler a justement baptisé Licht, cette année? Mais non, heureux hasard, c’était pour du jazz, un Dixieland qui agitait la ville de sa joie trépidante. La cité martyre l’a bien mérité ! 
 
Jacqueline Thuilleux

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(1) « Hellerau ou l’âge d’or de la rythmique » www.concertclassic.com/article/hellerau-ou-lage-dor-de-la-rythmique-une-utopie-qui-dure
 
 
Dresdner Musikfestspiele, les 18 et 19 mai ;  jusqu’au 18 juin 2017. www.musikfestspiele.com  
 
Photos © Oliver Killig

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