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Festival Contrepoints 62 - De la Flandre, via Londres, à Venise - Compte-rendu



Au sein d'une inventive programmation franco-anglo-flamande, prolongement du Midsummer Festival de juin dernier au Château d'Hardelot (Centre Culturel de l'Entente Cordiale, également sous l'égide du Conseil général du Pas-de-Calais), c'est dans une région chargée d'histoire que l'avant-dernier week-end de Contrepoints 62 conviait les festivaliers : à la jonction du Boulonnais merveilleusement vallonné et de la grande plaine unie de Flandre, tout près du fameux Camp du Drap d'Or (entre Ardres et Guînes) où François Ier et Henry VIII se rencontrèrent en 1520. Père de l'École française d'orgue, Jehan Titelouze vit le jour non loin, à Saint-Omer, dans les Pays-Bas espagnols…



Flamand, l'orgue baroque de Nielles-lès-Ardres et son étonnant buffet de 1696 le sont assurément. La partie instrumentale est en reconstruction : le grand clavier vient d'être restitué par le facteur Pierre Decourcelle ; le positif, confié à Bertrand Cattiaux, sera prêt pour l'édition 2012. C'est au pied de ce décor sculpté que se produisirent Les Witches de Freddy Eichelberger, lequel fit retentir les voix retrouvées du grand clavier, sur un tempérament mésotonique en accord avec un programme richement contrasté, populaire et savant : danses, chansons et psaumes des Flandres issus du recueil compilé à Londres en 1599 par la jeune Susanne Van Soldt. Violon, viole de gambe, flûtes, luth et autres cordes pincées, percussions et orgue y furent colorés d'une entêtante cornemuse et du singulier rommelpot ou « tambour à friction des Flandres », qui par résonance offre une assise rythmique d'une incroyable présence.
Programme festif où la toute-puissance, quasi hypnotique, de rythmes inlassablement répétés finit par créer un climat de transe joyeusement prenant. La musique telle une fête : harmonie, esprit et chaleureuse humanité, liesse « simple » et parfaite d'une radieuse journée d'été indien.



Le concert du soir, en l'abbatiale de Licques, fit exception en ce qu'il oubliait Flandre, Angleterre et France pour nous convier en Italie. Vivaldi y fut servi par l'Ensemble Amarillis avec une perfection d'intonation, d'impulsion collective et d'équilibre qui fit sans doute de cette soirée l'un des sommets du Festival. Avec pour commencer le Concerto RV 463 joué au hautbois baroque avec un aplomb renversant par Héloïse Gaillard, directrice artistique de l'ensemble. On imagine que la haute voûte et les dimensions de cet édifice classique ne facilitaient pas la projection des instruments anciens jusqu'aux derniers rangs – mais le public, d'une insurpassable attention, permit à la musique de soulever un enthousiasme mille fois mérité.
À l'orgue de tribune, Freddy Eichelberger, de nouveau, improvisa en guise d'introduction aux œuvres suivantes : Grave élégiaque et grande manière avant le Motet Nulla in mundo pax sincera, par la soprano Valérie Gabail, dont le chant d'une beauté un peu froide s'insérait, instrument soliste hors de pair, avec une précision inouïe dans la texture d'ensemble ; grand solo de flûte, spiritoso, finalement accompagné et détourné vers une suite d'accords nourris d'étrangeté et d'humour délicieusement décalé, avant le Concerto RV 443 – Héloïse Gaillard à la flûte sopranino y redéploya tout l'éventail de sa musicalité et de sa maîtrise : sidérant ce que l'on parvient à faire (du moins elle) sur un minuscule flûtiau.



La seconde partie s'ouvrait sur La Follia pour deux violons et basse continue, délire rythmique rigoureusement structuré, la progression des diminutions faisant monter la pression d'enivrante manière. Stéphanie-Marie Degand en guest star, dont l'expression et tout le corps soulignaient la dramaturgie vivaldienne, et Stéphanie Paulet y brillèrent de mille feux – stimulées par le violoncelle électrisant d'Annabelle Luis. Le Concerto La notte – toujours Héloïse Gaillard, à la flûte alto, décidément d'une virtuose et éruptive polyvalence – et un second Motet non moins enflammé : In furore lustissimae irae, puis en bis une infidélité haendélienne à Vivaldi, couronnèrent ce concert mémorable de force et de tenue.



Après le concert Vivaldi, modèle de continuité, celui du lendemain à Saint-Vaast de Béthune – capitale culturelle régionale 2011 – eut plus de mal à emporter l'adhésion et à concilier ses deux missions : fêter les dix ans de l'orgue Freytag-Tricoteaux, merveille d'esthétique baroque allemande inspirée du Schnitger (1693) de Saint-Jacques de Hambourg, et la création d'une commande d'Orgues en Béthunois.



Déjà entendu en 2009 à Contrepoints 62, sur l'orgue Quoirin du Touquet dont il est titulaire, l'excellent Ghislain Leroy s'est de nouveau montré moins à l'aise dans le répertoire ancien : le rythme lancinant de The Bells de Byrd, vaste page répétitive, peina à retrouver la composante hypnotique distillée la veille par Les Witches, cependant que le Praeludium en mi mineur BuxWV 142 de Buxtehude imposait une carrure plus classique que fantasticus, faute de réelle liberté. Entre les deux, le lumineux Psalm 24 d'Anthoni van Noordt apparut telle la pièce la plus séduisante.



La faille de ce concert, indépendamment de la qualité des parties, fut un dommageable morcellement. Or de qualité, la suite l'était. L'Ensemble vocal Aedes (photo) dirigé par Mathieu Romano, formation en pleine et remarquable ascension, offrit les huit petits chefs-d'œuvre à cinq parties de Britten intitulés Sacred and Profane (op.91, parmi ses dernières œuvres, 1975), chaque pièce faisant l'effet d'un suprême défi et d'un monde poétique à part entière. Tout l'impact du chant a cappella, perfection et « spontanéité ». Deux pages d'orgue s'ensuivirent, par la Japonaise Ami Hoyano : Invention n°1 du compositeur belge contemporain Benoît Mernier ; Faulte d'argent, motet transcrit de Pierre de Manchicourt, maître franco-flamand de la Renaissance né à Béthune (cf. le Concours organisé tous les deux ans à Saint-Vaast). Ces pages étaient précédées d'une présentation de la commande faite à Thomas Lacôte, Le Livre de Psaumes pour chœur et orgue, donné en création.



Riche de repères essentiels, ce préambule intéressant mais diffus de Louis Delpech fut conté sur le ton de la confidence-confession, rupture de climat assurée se répercutant sur l'ensemble du concert. Ce Livre met notamment en œuvre des idées audacieuses quant au traitement du texte, ainsi des deux traductions des mêmes Psaumes 8, 9 et 122 entendues successivement ou simultanément. Deux Interludes pour orgue seul, irréprochable d'écriture bien que globalement convenus, séparent ces trois grandes pages – Ghislain Leroy dans son élément. Tension et densité de l'approche vocale, foisonnante et d'un souffle magnifié par l'époustouflant Ensemble Aedes, réussirent à reforger un climat prenant : impossible de n'être pas saisi par l'espoir douloureusement empreint de doute de l'invocation finale à la Paix, chargée de connotations si contemporaines.




Michel Roubinet




6ème Festival Contrepoints 62 – le Festival des Orgues du Pas-de-Calais, 1er et 2 octobre 2011

Sites Internet :

Festival Contrepoints 62

http://www.pasdecalais.fr/Actualites/Culture/Contrepoints-62-Le-festival...

Orgues en Béthunois

http://www.pasdecalais.fr/Agendas/Culture/Orgues-en-Bethunois-2011



Les Witches

http://www.leswitches.com/html/fr/lesWitches_new.html



Ensemble Amarillis

http://www.amarillis.fr/



Ghislain Leroy

http://www.ghislainleroy.org/Accueil.html



Ensemble vocal Aedes

http://www.ensembleaedes.com/content/accueil.php



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Photo : Thibaut Chapotot

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