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Festival Britten à l’Opéra de Lyon - Peter Grimes les yeux dans les yeux – Compte-rendu

Yoshi Oida (photo) commence Peter Grimes exactement là où il finit : Balstrode fait monter le pêcheur dans sa barque et lui donne la masse qui lui permettra de se saborder une fois au large, Ellen détourne le regard en étranglant une plainte.  Le metteur en scène sait bien que le suspens de l’opéra qui fit la réputation mondiale du jeune Britten n’est pas dans le destin prévisible de Peter, ni dans celui tout aussi évident de l’enfant, mais qu’il se tient dans le récit même.
Quelques containers et des escaliers rouillés, le fantôme de la barque-cercueil rongée par l’océan, tous les protagonistes  en costume de l’époque de Crabbe comme autant de spectres venus rejouer le drame un siècle plus tard, mais des spectres singulièrement vivants dont Oida dessine chaque visage jusqu’au dernier des choristes, usant d’une direction d’acteur si virtuose qu’on  ne la perçoit pas. On n’est plus au théâtre, on est immergé dans l’œuvre. 
 

Peter Grimes / photo © Jean-Pierre Maurin

Ce sens des caractères suscite une vie scénique intense, suractive, qui profite avant tout à quelques chanteurs acteurs surprenants. Colin Judson s’éclate littéralement en incarnant avec une verve incroyable Bob Boles, Rosalind Plowright compose une Mrs Sedley complexe qui, le gin agissant, se délure en dansant chez Auntie, la formidable Kathleen Wilkinson, décidément plutôt bonne fille que maquerelle. Andrew Foster-Williams campe un Balstrode attentif, suprêmement bien chanté. Oida lui transfère l’espoir de sauver Peter associé habituellement à Ellen, que Michaela Kaune joue comme esseulée, certaine de ne pas parvenir à son but. La découverte du bleu dans le cou de l’apprenti ne la surprend pas, elle sait déjà tout.
Enfant rouquin terrorisé, comme échappé d’un roman de Dickens, Marin Bisson restera inoubliable, la peur à l’état pur. Acteur essentiel du drame, le village, qui envahit la salle durant le procès, est incarné avec une précision, un tranchant des mots, une vérité d’expression et d’accent qui soulignent le travail transcendant effectué par Alan Woodbridge : son chœur est renversant de présence et d’exactitude, une vraie performance d’autant que Britten ne lui ménage pas la peine.

Et Peter ? Alan Okes, moins perdu dans son monde que l’autre grand Grimes du moment, Anthony Dean Griffey, campe un pêcheur amer, alternant ironie et fureur, caractère saisissant qui rappelle plus Jon Vickers que Peter Pears : dans « Now the Great Bear » il interpole entre les strophes un soupir amer qui apporte une touche de lassitude, de complète désillusion, comme si même ressaisi par son univers intérieur il n’y croyait plus. Kazushi Ono dirige pour le drame, battue vive qui ne succombe ni aux sortilèges marins ni aux brillants effets d’orchestre. Spectacle total et complète réussite, l’un des trois plus beaux Peter Grimes qu’on ait croisé à égalité avec celui de Willy Decker et devant la régie de Graham Vick.

Le Tour d'écrou / photo © Jean-Louis Fernandez

Et qui faisait rétrospectivement apparaître la proposition de Valentina Carrasco assez fade pour son Tour d’écrou vu la veille. Décor de meubles dévorés d’immenses toiles d’araignées à l’apparition des spectres, plein de solutions pratiques bien pensées comme cette forêt tapissée de feuilles dont émergeait Miss Jessel à la façon d’une noyée, que soulignait des vidéos seulement jolies. Tout un monde d’images dévorant une direction d’acteur sans tension, le comble pour cet opéra. Enfants formidables, avec une mention spéciale au Miles décillé de Remo Rogonese, Peter Quint hanté et hantant selon Andrew Tortise dont le haut ténor envoûte, Miss Jessel vampirique à souhait – Giselle Allen par ailleurs une des grandes Ellen Orford du moment -,  mais la Gouvernante trop agitée d’Heather Newhouse et la Mrs Grose en retrait de Katharine Goeldner ne s’équilibraient guère. Jamais le vertige ne nous prenait, peu encouragé par  un ensemble instrumental uniquement rêche. Dommage. Mais ce Grimes, quel choc !

Jean-Charles Hoffelé
 
Britten : Le Tour d’écrou - Lyon, Opéra, 18 mars ; prochaines représentations : 23, 27, 29 mars 2014. www.concertclassic.com/concert/le-tour-decrou-par-kazushi-ono
Britten, Peter Grimes - Lyon, Opéra, le 19 mars ; prochaines représentations 22, 24 et 26 mars 2014. www.concertclassic.com/concert/peter-grimes-par-oida

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