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Falstaff de Salieri au Théâtre d’Herblay – Festif - Compte-rendu

L’heure d’Antonio Salieri (1750-1825) aurait-elle sonné ? Après Les Danaïdes, victorieusement ressuscitées il y a un peu plus d’un an par le Palazzetto Bru Zane (et autrement mieux venues que le contemporain Uthal de Méhul – 1), c’est son Falstaff qui revient sur le devant de la scène. Un opéra dans le style giocoso des Mozart de Da Ponte et annonçant Rossini, bien éloigné de la tragédie lyrique des Danaïdes (2). Et qui, d’une certaine façon, parle des talents multiples de Salieri.
 
C’est ainsi, comme le révèle la production au Théâtre Roger Barat d’Herblay, que Falstaff recèle bien des joyaux. À commencer par son livret, savoureux, qui narre les mésaventures du bedonnant héros, dans l’exacte trame échafaudée un siècle plus tard par l’opéra éponyme de Verdi. À croire que ce dernier et son complice Boito sont de vulgaires plagiaires ! Car l’un et l’autre ne devaient pas méconnaître l’opéra de Salieri, qui choisit les mêmes situations et un identique découpage parmi trois pièces différentes de Shakespeare. Seule la fin s’écarte, moralisatrice chez Verdi et simplement joyeuse, avec une touche de tristesse, chez Salieri.
 
La musique cependant diffère, on s’en serait douté, mais sans déchoir face à celle son rival plus célèbre : enroulant airs et ensembles enlevés, orchestration fine, dans une veine changeante et tournoyante, conclue par de grands finals à chacun des deux actes (Mozart et Rossini, encore, ne sont pas loin). Tout du moins, selon la version présentée. Dans ce cas, qui succède à quinze ans de distance au travail réalisé par Malgoire, il a fallu revenir aux sources. À savoir trois partitions, conservées à Berlin, Dresde et à la Bnf de Paris. Chacune correspondant à un état différent de l’œuvre, suivant ses reprises après sa création en 1799 à Vienne. Le long chemin de reconstitution s’est étalé sur un an et demi, selon les confidences du chef d’orchestre Iñaki Encina Oyón. Le travail préparatoire avec les interprètes, mais aussi le metteur en scène, a pris par la suite environ quatre mois. Avec une escale dans le cadre de la Fondation Royaumont.
 
Le résultat est plus que probant, avec un plateau vocal de premier ordre, aguerri sans faire appel à des vedettes du gosier, et une cohérence d’ensemble qui doit au chef d’orchestre précité, mais aussi à Johannes Pramsohler, premier violon et directeur de l’Ensemble Diderot, et à Philippe Grisvard, chef de chant et pianofortiste. Comme également au metteur en scène, Camille Germser, qui avait pareillement collaboré longtemps en amont à cette louable entreprise d’équipe.
 
Sa mise en scène, précisément, vise au mieux et au juste. Pour retrouver l’esprit « giocoso », elle transpose ainsi l’action à notre époque, ou plutôt une époque proche, les années 80 avec ses Freaks façon bandes dessinées underground de Robert Crumb (Falstaff et son acolyte) et ses bourgeois bcbg (les couples Ford et Slender, et leur femme de chambre). Et tout ce petit monde parfaitement campé et grimé, dans des décors de bric-à-brac et situations croquignolettes. En plein accord avec la trame mouvementée de l’ouvrage ! Tout juste regrettera-t-on l’intromission d’une scène de rock (scène d’où provient Germser – ceci explique cela), apocryphe évidemment, avec chanteuse microphonée et boum-boum tout autant. Vulgarité racoleuse et superfétatoire, qui entache un spectacle par ailleurs pleinement réussi.
 
Nous disions du bien du plateau vocal. Et nous ne tarirons pas d’éloges sur Philippe Brocard, incarnant un rôle-titre lourd (dans tous les sens) dont il s’acquitte avec un brio et une assurance exemplaires. Les grandes maisons lyriques n’ont pas encore su dénicher ce baryton hors pair. Tant mieux ! Gardons jalousement ce secret. Mais Maria Virginia Savastano n’est pas en reste, comme on l’imagine avec son talent ici reconnu, tant dans l’abatage scénique que vocal. Claudia Moulin, Sébastian Monti, Éléonore Pancrazi, Wiard Witholt et Olivier Déjean, leur rendent fière réplique. L’Ensemble Diderot précité, jeune formation baroqueuse fondée en 2009, justifie sa déjà belle réputation avec des couleurs déliées, sous la battue bien posée d’Encina Oyón. Le Théâtre d’Herblay se retrouve une nouvelle fois à la fête.
 
Pierre-René Serna
 

  1. Lire le compte-rendu : www.concertclassic.com/article/uthal-de-mehul-lopera-royal-de-versailles-utile-redecouverte-compte-rendu
  2. Lire le compte-rendu : www.concertclassic.com/article/les-danaides-de-salieri-lopera-royal-de-versailles-franc-succes-compte-rendu

 
Antonio Salieri : Falstaff – Théâtre Roger Barat d’Herblay, 31 mai 2015. Le spectacle pourrait être repris, sauf imprévu, en juin 2016 à Ludwigsbourg en Allemagne.

Photo © Théâtre Roger Barat Herblay

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