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Fairy Queen à la Salle Pleyel - Un Purcell grandeur nature - Compte-rendu


D'une certaine façon, ce fut la Reine des Fées des défections, avec une frustration majeure: Véronique Gens qui devait être une Titania éblouissante, droit sortie des songes shakespeariens (1). Fort heureusement, sa remplaçante Sophie Karthaüser (photo), dont les réussites commencent à impressionner au concert comme au disque, a, dans un tout autre registre, reçu le don lyrique en partage. Nourrie dans le sérail de la Guidhall School de Londres, elle connaît tous les détours de l'école anglaise et les vertus d'un chant qu'elle sait pimenter d'une once de british humour.

Autre défaillance tournant au succès : celle de la suédoise Ingela Bohlin, remplacée par la soprano Emmanuelle de Negri, l'une des grandes révélations de l'année dans la reprise du mythique Atys du tandem Villégier-Christie à l'Opéra Comique. Timbre radieux marié à une diction vibrante: tout semble promettre une riche carrière à la jeune artiste, de Rameau à Mozart, Offenbach, Haendel et Cavalli, entre autres. Et encadrant ces purs talents, il y a les valeurs sûres du chant baroque: d'abord, la basse de Christopher Purves, impayable dans le dialogue drolatique entre Corydon et Mopsa (rôle travesti où le ténor Emiliano Gonzalez Toro se garde d'en faire trop pour en faire assez) et, tout autant, la sensibilité de Cyril Auvity qui, depuis ses débuts à Aix-en-Provence dans Le Retour d'Ulysse de Monteverdi sous la direction de William Christie, a réussi un parcours exemplaire sous l'autorité des meilleurs (Christophe Rousset, Gabriel Garrido). Jouant d'une heureuse ambivalence entre les voix de ténor léger et de haute-contre, il a brillé à Pleyel, conjuguant le style, les justes affects, le bonheur sonore, la vaillance.


Mais surtout, fédérateur de tous ces talents, il y a le savoir-faire imparable d'Hervé Niquet qui, à la tête d'un Concert Spirituel (choeur et orchestre) en total accord avec ses choix expressifs, s'impose une fois de plus avec un rare brio dans le répertoire insulaire. Après les farces concoctées par les humoristes Shirley et Dino dans un King Arthur flirtant avec la transgression, voici, en version de concert, un poétique et stimulant exemple de relecture exempte de toute raideur musicologique.

A cet égard, le contraste est frappant avec la Fairy Queen montée par Philip Pickett et son New London Consort à la Cité de la Musique en février dernier. Ces derniers transposaient l'action et les personnages en images de modernité au bonheur discutable (le premier acte avec ses interprètes devenus touristes, via les services charters d'un operating tour pour l'Arcadie, avec l'ennui pour résultat final). Chez Niquet, au contraire, la machine ludique ne s'enraye pas, qui sert toujours au mieux les intérêts de la musique.
Bref, au terme de la somptueuse Chaconne de l'Acte V, l'Orphée britannique sort magnifié de cette approche tout ensemble signifiante et festive. L'ombre du grand Alfred Deller, bon génie du chant purcellien, a dû tout simplement en tressaillir d'aise.

Roger Tellart

(1) rappelons que le chef-d'oeuvre des semi-opéras purcelliens est une adaptation du Songe d'une Nuit d'été)

Purcell : Fairy Queen (version de concert) – Paris, Salle Pleyel, 6 novembre 2011


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Photo : Sylvain Godfroid

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