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Fabien Gabel et l’Orchestre de Paris au 6ème Festival Bru Zane à Paris – «Il faut se battre pour la musique française »

Déplorer ou se réjouir ? : les deux attitudes sont possibles face au programme « Rêves d’Orient » que Fabien Gabel (photo) dirige bientôt à l’Orchestre de Paris. Hormis la fameuse Shéhérazade de Ravel (avec le concours de la soprano canadienne Measha Brueggergosman), tous les ouvrages donnés (Khamma de Debussy/orch. Koechlin, 2ème Suite d’Antoine et Cléopâtre de Florent Schmitt, 2ème Suite de Padmâvâti de Roussel et Istar de Vincent d’Indy) sont des raretés absolues – des anomalies, faudrait-il presque dire –  à l’affiche d’un orchestre... français.
Les phalanges hexagonales se montrent en effet vite oublieuses du répertoire national dès que l’on sort de Debussy, Ravel et de quelques autres titres fameux tels que la Fantastique de Berlioz ou la Symphonie de Franck. Saint-Saëns, D’Indy, Schmitt, Chausson, Lazzari, Holmès, Pierné, Cras, Ropartz, Magnard, Koechlin, Ibert, Barraine, etc. (1) ... il y a tant à faire pourtant ; tant de vrais trésors à (re)découvrir ... Mais la "loi du moindre effort", jadis dénoncée par Honegger, exerce trop souvent ses effets.
Heureuse exception ! - ne boudons pas le plaisir qui s’annonce avec « Rêves d’Orient », un programme que l’on n’est pas étonné de trouver inscrit (les 9 et 10 juin) dans le cadre du 6ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris. Plaisir d’autant plus grand qu’il permet donc de retrouver Fabien Gabel dans la capitale.
 

© fabiengabel.com
 
A l’Orchestre Symphonique de Québec

Nul n’a le don d’ubiquité ; la présence du chef français depuis 2011 à la tête de l’Orchestre Symphonique de Québec explique sa relative rareté chez nous – sa nomination à l’Orchestre Français des Jeunes, on y reviendra, la relativisant quelque peu toutefois.
Depuis son arrivée à l’OSQ, Fabien Gabel a travaillé à l’élargissement du répertoire de la formation et, sans exclure Beethoven, Mozart ou Brahms, « essaie d’aller vers des choses moins connues, des nouveautés, des créations ». L’attractivité de la phalange pour les musiciens a crû et le chef constate que lorsque des postes doivent être renouvelés, « les concours, auxquels se présentaient autrefois des francophones, attirent de plus en plus d’anglophones. » Précisons que les concours, au Canada, sont réservés en priorité aux nationaux et, si le poste n’en pas pourvu au terme d’un premier tour, ouverts ensuite aux étrangers.
« On me dit souvent que l’Orchestre a des sonorités françaises, remarque non sans satisfaction F. Gabel. Il est vrai que beaucoup de nos bois ont travaillé en France ou en Europe avec des professeurs formés en France, et je constate un sens de l’articulation très similaire à celui des bois français. ».
 

@fabiengabel.com

Les auditeurs vont avoir un choc

« Il faut se battre pour elle » : avec F. Gabel, la musique française tient un fervent défenseur. Parmi les auteurs inscrits au prochain programme de l’Orchestre de Paris, Florent Schmitt lui tient beaucoup à cœur. Il a souvent donné Rêves, bref chef-d’œuvre de 1913, et dirigera le tellurique Psaume 47 la saison prochaine. « Je pense que les auditeurs qui ne la connaissent pas vont avoir un choc, dit-il à propos de la 2ème Suite d’Antoine et Cléopâtre (qui aura attendu 2018 pour entrer au répertoire de l’Orchestre de Paris...) « On est transporté dans l’orientalisme, avec des harmonies très sensuelles, un usage des bois développé et très virtuose. L’orchestration est phénoménale, à mon sens du même acabit que celle de Ravel, quoique très différente – l’écriture de Schmitt présente une dimension contrapuntique affirmée. »
F. Gabel regrette « la frilosité » des programmateurs » envers bien des aspects du répertoire français. Ainsi, n’entend-on guère – euphémisme – Istar (1896)de Vincent d’Indy - une première aussi pour l’Orchestre de Paris. « Une pièce magnifique : il ne s’agit pas de l’orientalisme du début du XXe siècle mais d’une musique post-romantique de la fin du XIXe siècle, profondément lyrique, admirablement orchestrée », commente le chef à propos de ces Variations symphoniques à rebours dont le thème n’apparaît qu’en conclusion.
Entrée au répertoire de l’Orchestre également pour le 2ème Suite de Padmâvâti de Roussel dont F. Gabel apprécie l’écriture « très précise et un langage harmonique caractéristique.»
Quant à Khamma, que l’Orchestre de Paris n’a joué qu’une fois dans son histoire (en 1984), la partition est chère à un artiste qui l’avait déjà inscrite à un programme de l’Orchestre Lamoureux en 2007 ; «une œuvre tardive, sombre, fruit d’une commande et dont, passées les vingt premières mesures, Debussy a confié l’orchestration à Koechlin. Celui-ci a travaillé sous la direction du compositeur mais, ayant dirigé du Koechlin, j’y retrouve sa manière ; une orchestration ultra-détaillée avec des couleurs incroyables. » F. Gabel programmerait plus souvent cet ouvrage étonnant, si on le lui demandait... « Mais on veut toujours entendre La Mer... ».
 
« Moins on joue le répertoire français, moins on sait le jouer. Mon grand-père était violoncelliste à l’Opéra et faisait partie de l’Orchestre Lamoureux. Il jouait constamment de la musique française », remarque-t-il, soulignant les problèmes de transmission induits par une fréquentation insuffisante par les phalanges françaises d’un répertoire victime de la déferlante mahlero-chostakovienne depuis quelques décennies. « Le répertoire français ne doit pas être l’apanage des chefs français, poursuit-il, mais quand on discute avec de jeunes chefs en âge de se présenter dans les concours, ils veulent tous diriger la 5ème de Mahler, mais ne comprennent souvent rien à Nuages, pièce à l’atmosphère incroyable mais extrêmement difficile à réaliser. »
 

A la tête de l'Orchestre Français des Jeunes en septembre 2017 à Laon © Antoine Chanteraud

Coup de foudre !

Passés les deux concerts de l’Orchestre de Paris, on aura le plaisir de retrouver F. Gabel fin août-début septembre en divers lieux, en France et à l’étranger, pour les concerts de fin de session d’été de l’Orchestre Français des Jeunes.
Le chef a pris le relai de David Zinman – son ancien professeur de direction [et grand amateur de Koechlin ! (2) ] à la tête de la phalange-école. «Un vrai coup de foudre ! »  : ainsi décrit-il sa rencontre avec l’OFJ. « Dès la première lecture de la Symphonie fantastique, j’ai été très impressionné par le degré de préparation des musiciens – le recrutement, le travail en amont avec les encadrants expliquent il est vrai bien des choses. Il n’y a eu aucune perte de temps en considérations techniques. Quant aux réflexes qui peuvent faire défaut à de jeunes instrumentistes, ils sont très vite acquis. On est frappé par l’enthousiasme et l’envie de faire de la musique dans un climat excellent. ».
Beau programme que celui qui attend F. Gabel cette année avec, pour l’été, Tchaïkovski (4ème Symphonie), Stravinski (Chant du Rossignol), Debussy ( La Mer), Bartók (Concerto pour violon n° 2), Saint-Saëns (Concerto pour violon n° 3) – tous deux sous l’archet de Nicolas Dautricourt –, Ravel (Une barque sur l’océan) et de Samy Moussa (né en 1984), jeune compositeur canadien que le chef français admire et défend, Crimson, foisonnnante pièce pour grand orchestre (de 2014-2015). La session d’hiver de l’OFJ verra la reprise d’une partie du programme estival, augmentée d’une ouverture de Wagner et de lieder de Strauss et – choix original – de Clemens Krauss,  avec la soprano Petra Lang. De belles et enrichissantes expériences en perspectives pour les jeunes troupes de l’OFJ.
 
Alain Cochard
(Entretien avec Fabien Gabel réalisé le 18 mai 2018)

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(1) Et on pourrait continuer la liste après-guerre avec Jolivet, Ohana, Tomasi, etc.
(2) David Zinman a signé un très belle version du Livre de la jungle à la tête du Radio-Symphonie-Orchester Berlin (RCA)
 
Orchestre de Paris, dir. Fabien Gabel / Measha Brueggergosman, sop.
Œuvres de D’Indy, Schmitt, Debussy/Koechlin, Ravel, Roussel.
9 juin (20h 30 ) et 10 juin (16h30)
Paris – Grande Salle Pierre Boulez
www.concertclassic.com/concert/dindy-ravel-roussel-debussy
 
 
Session d’été 2018 de l’OFJ : www.ofj.fr/fr/session-d-ete-2018--1223.php

Photo © fabiengabel.com

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