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Emile Vuillermoz (1878- 1960), le premier critique musical français

Imaginez un critique musical qui commence sa carrière avec la première représentation du Pelléas et Mélisande de Debussy à l’Opéra Comique en 1902 pour l’achever sur la création parisienne du Château de Barbe-Bleue de Bartok en 1959, et trouve le moyen, entre temps, d’expliquer à ses lecteurs, de façon compréhensible, la toute nouvelle technique dodécaphonique d’Arnold Schoenberg : ça n’existe pas !

Et bien si justement, en la personne d’Emile Vuillermoz auteur de la remarquable histoire de la musique toujours éditée par Fayard dans une version complétée par Jacques Lonchampt, disciple de Vuillermoz et ancien critique du Monde. Ce dernier vient de faire oeuvre de fidélité et d’intelligence en rassemblant un vaste choix d’articles du premier de nos critiques musicaux du XXe siècle (1).

C’est tout un pan de la culture française qui nous est ainsi restitué, car non seulement ce livre survole toute la vie musicale et lyrique française de la première moitié du XXe siècle - époque essentielle et brillantissime - mais il le fait dans une langue étonnamment moderne et proche de nous. Avant lui, les critiques musicaux se recrutaient parmi les compositeurs connus, de Berlioz à Fauré dont Vuillermoz fut d’ailleurs l’élève au côté de Ravel.

Mais il fut le premier à se vouloir journaliste, médiateur entre les créateurs et le grand public, bref, vulgarisateur au sens le plus noble. Son style est d’une clarté qu’on dirait pédagogique : ainsi, s’il ne partage pas l’admiration de certains pour la méthode des douze sons de Schoenberg, cela ne l’empêche pas dans ses articles de la définir et de l’expliquer avec une parfaite honnêteté à ses lecteurs afin qu’ils se fassent librement leur religion musicale.

Le premier, il pressent et explique l’originalité et le génie de Debussy et s’il n’apprécie guère le livret du Château de Barbe-Bleue, il saisit et proclame dans ses comptes-rendus la profonde beauté de la musique de Bartok. A un siècle de distance, il nous livre le témoignage d’un connaisseur avisé assistant à l’avènement d’un monde nouveau produisant des instantanés qui font mouche comme les débuts parisiens d’un jeune homme de 22 ans embarrassé par son génie nommé Horowitz, ou ceux de deux virtuoses russes de l’archet Heifetz et Menuhin.

Des anciens passent aussi dans cette galerie de portraits, de Ninon Vallin à Marguerite Long en passant par Wanda Landowska, Gieseking, Kempff, Lipatti, Callas, Samson François, Rostropovitch, Toscanini répétant à Salzbourg, Furtwängler dirigeant Tristan à l’Opéra de Paris en pleine guerre ou le météore Karajan… Car Jacques Lonchampt ne cache rien des compromissions de Vuillermoz durant cette période où il participa par ailleurs à la création des Jeunesses Musicales de France et de leur Journal qui fut l’école de toute une génération de musicologues et de journalistes français.

Jacques Doucelin

(1)« Critique musicale ( 1902- 1960), au bonheur des mots » ;
sélection réalisé par Jacques Lonchampt ( L’Harmattan, 576 p. ; 52 €)

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Photo : DR
 

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