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Elisabeth Leonskaja en récital à la Philharmonie de Paris – Intelligence du geste et de l'écoute – Compte-rendu

Un récital d’Elisabeth Leonskaja (photo) est une pure leçon de piano, tout droit venue de la grande tradition russe, avec un maître mot, qui guide la construction musicale en restant indissociable du reste : le geste, dans ce qu’il a de plus naturel et de plus confortable. Ici, pas de mouvement parasite, rien de surfait, le geste n’est jamais un frein, mais toujours un moteur pour l’expression, et l’intelligence musicale est avant tout une intelligence du geste. Dans Mozart autant que dans Schumann, la pose des bras et des mains s’avère exemplaire, et la gestion du poids remarquable.
Le concert entrecroise les deux auteurs, avec d’abord la Sonate KV 333 du compositeur viennois, suivie de la Sonate n°1 de Schumann, puis après l’entracte la Sonate KV 331 et les Etudes symphoniques.

Chez Mozart, plutôt qu’accentuer les contrastes, Leonskaja préfère adoucir les angles et lisser les contours, en apportant un soin admirable à l’équilibre sonore. Si l’expression en reste toujours très tendre, on peut regretter que le résultat manque de vie et de ces touches de piquant et d’imprévu qui font aussi tout le charme du musicien. La première partie pèche par de trop nombreuses approximations vis-à-vis du texte, qui disparaîtront après la pause. Un effet du stress peut-être, pour une artiste que l’on dit d’une timidité légendaire ?
Toujours est-il que le début de la Sonate n°1 de Schumann est magnifique de profondeur, et ce thème déclamé par la main droite avec une fière désinvolture nous plonge dans la solitude d’un paysage désolé. Dans l’Aria, la main gauche très feutrée laisse à la mélodie tout l’espace pour se développer en un fil ininterrompu que seule rend possible une écoute d’une qualité incomparable.

Dans les variations de la Sonate K.331, la linéarité de la phrase paraît plus à propos que dans le KV 333, car elle semble se mettre mieux au service de l’innocence et de la pureté mozartiennes.
Les Etudes symphoniques tranchent avec le reste du programme par la fougue et la puissance à l’œuvre. Une grande force et une grande noblesse se dégagent de l’interprétation comme de la pianiste, et le jeu se fait tour à tour introspectif et grandiose, pour épouser une vision très organique de la partition.

Manuel Gaulhiac

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Paris, Philharmonie (Grande Salle Pierre Boulez), 15 février 2018

Photo © Jo Schwartz

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