Journal

Elisabeth Joyé en récital à l'Hôtel de Soubise – A la redécouverte Johann Caspar Ferdinand Fischer – Compte-rendu

Le concert donné dans la « Chambre du prince » de l'Hôtel de Soubise (Archives Nationales) par Élisabeth Joyé (photo, 1)) s'inscrivait à la fois dans la saison « Jeunes Talents » (2), à laquelle elle collabore en tant que professeur de clavecin au Conservatoire du 7ème arrondissement et coordinatrice des programmes baroques, et la saison « Claviers en l'ïle » de Benjamin Alard (3), qui introduisait le concert et donnera lui-même un récital J.S. Bach en l'Hôtel de Soubise le 22 mai. Le programme était consacré à Johann Caspar Ferdinand Fischer (1656-1746) à l'occasion de la sortie du magnifique CD, intitulé Uranie, qu'Élisabeth Joyé a enregistré pour L'Encelade (ECL 1402, sortie nationale le 18 mars) en octobre 2014 au Temple du Foyer de l'Âme, à Paris (4) et en janvier 2015 dans la Galerie des Affaires étrangères de la Bibliothèque de Versailles, sur un clavecin de Philippe Humeau (1993) d'après Carl Conrad Fleischer (Hambourg, 1720). Le programme du 13 mars reprenait l'essentiel de celui du CD, du moins la partie clavecin, mais aussi une pièce passant en l'occurrence de l'orgue au clavecin (la distinction entre ces deux types de claviers, dans un répertoire entièrement manualiter, n'ayant dans bien des cas rien de contraignant) : l'imposante Chaconne de la Suite Euterpe, qui refermait le concert.
 
Si Fischer n'est certes pas un inconnu, sa gloire posthume repose le plus souvent sur l'influence qu'il exerça sur Bach et son Clavier bien tempéré, du moins selon Forkel qui alla jusqu'à dire que c'est l'Ariadne de Fischer qui aurait incité Bach à composer ses deux livres de Préludes et Fugues. Fischer fut en effet de ceux qui tentèrent de boucler l'exploration des 24 tons majeurs et mineurs, à l'instar de Walther, Gerber ou Pachelbel. Ce dernier devait atteindre 17 tonalités, Fischer (en comptant le mi phrygien) pas moins de 20… Si quatre des vingt (brefs mais d'une superbe concentration) Préludes et Fugues du recueil Ariadne Musica (1715) figurent sur le CD – premier enregistrement de l'orgue, d'esthétique saxonne du XVIIIe siècle, érigé en 2009 par Quentin Blumenroeder au Foyer de l'Âme (5) –, le programme de l'Hôtel de Soubise se concentrait sur le principal recueil de pièces pour clavecin de Fischer, le Musikalischer Parnassus (1736 ?), constitué de neuf Suites nommées d'après les Muses.
 
La toute dernière, celle qui donne son titre au CD, Uranie, ouvrait le récital, presque intégralement (sauf Rigaudons et Menuets), suivie d'extraits de la Suite Melpomène (n°3) et de l'étonnant Praeludium harpeggiato de la Suite Clio (n°1). Sur un clavecin d'une franche et noble résonance – singulière plénitude des tenues –, Élisabeth Joyé fit resplendir le génie propre de Fischer : un petit maître, peut-être, mais habile dans l'art de la miniature. Les sections de ces Suites sont en effet le plus souvent brèves, à l'exception des chaconnes et autres passacailles, qui abondent chez Fischer et atteignent des dimensions respectables, y compris sur le plan de l'invention. Dans le salon quelque peu surchauffé par le soleil de mars et saturé de senteurs d'encaustique (suffisant presque à expliquer certaines faiblesses, infimes et sans conséquence musicale, des doigts de l'interprète – les nez sensibles pouvaient s'en trouver réellement mal), Élisabeth Joyé restitua à merveille l'écriture déliée et brillante de Fischer, enchaînant avec éclat mais aussi une parfaite mesure, dans l'équilibre, les pièces laissées par ce musicien réputé claveciniste virtuose.
 
Après les Suites fut évoqué un autre recueil d'importance : le Musikalisches Blumenbüschlein, sous-titré « Pièces de Clavessin » (1696), constitué de huit suites de pages variables bien que toujours précédées d'un Praeludium. On entendit les n°8 et 5, qui figurent sur le CD. L'indication notée après le Praeludium VIII, énonçant le caractère requis pour la section d'une superbe liberté qui s'ensuit, répond fort bien à la qualité de jeu d'Élisabeth Joyé : Harpeggiando per tutto con discrezione e senza riposar – où les doigts s'envolent, laissant libre cours à une humeur joliment vagabonde, avant d'introduire une Chaconne d'une belle faconde, cependant que le Praeludium V est suivi, pour une structure qui trouve toujours à se renouveler, d'une Aria & 8 Variations fort inventives.
 
Michel Roubinet
 

logo signature article

(1) Elisabeth Joyé sera l'invitée de la matinale de France Musique le lundi 28 mars à partir de 8h20
 
(2) Jeunes Talents (saison 2015-2016) – concerts donnés aux Archives Nationales et au Petit Palais
 www.jeunes-talents.org

 
(3) Claviers en l'ïle, saison 2015-2016 – Fantaisies
www.benjaminalard.net/claviers-en-l-ile-saison-15-16/
 
(4) Orgue Quentin Blumenroeder – Temple du Foyer de l'Âme, Paris
www.blumenroeder.fr/pages/orgues-d-eglise.html?idArt=14
 
(5) Des vidéos de l'un de ses titulaires, Frédéric Rivoal, en charge de la coordination artistique du fameux cycle des Cantates de Bach, sont disponibles sur le site du facteur
www.blumenroeder.fr/pages/extraits-sonores-et-videos.html?idArt=23
 
Paris, Hôtel de Soubise (Archives Nationales), 13 mars 2016

Sites Internet :

Élisabeth Joyé
www.jeunes-talents.org/musiciens/162/Elisabeth-Joyé
www.agencerameau.com/#!elisabethjoye/c1phu
 
Vidéo au clavecin et à l'orgue, Temple du Foyer de l'Âme :
www.agencerameau.com/#!Sortie-du-disque-dElisabeth-Joyé-consacré-à-lœuvre-de-JCF-Fischer-Uranie-le-18-mars/c112t/56c5c4630cf2c75daa849eed
 
 
Photo Elisabeth Joyé © agencerameau.com

Partager par emailImprimer

Derniers articles