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El Público (création mondiale) au Teatro Real de Madrid - Pour tout public - Compte-rendu

Le Teatro Real, l’Opéra de Madrid, réserve toujours une programmation des plus originales. C’est ainsi que quasiment chaque saison fait une place à la création contemporaine. Cette fois : El Público, commande (du temps de Gerard Mortier et désormais dédié à sa mémoire) au compositeur Mauricio Sotelo, d’après García Lorca, est une attachante production.
 
La pièce théâtrale de Lorca fut écrite vers 1930, peu de temps avant la disparition de l’écrivain. Mais elle devait rester dans les cartons, et ce n’est que cinquante-six ans plus tard que l’œuvre fut créée à la scène. On sait, en particulier, qu’elle fut donnée en 1988 à Paris pour l’ouverture du Théâtre de la Colline, dans une mise en scène de Jorge Lavelli. À Londres, la même année, la pièce allait provoquer le scandale, avec débat parlementaire et menace de retirer sa subvention au Theatre Royal Stratford East (pour cause d’outrage aux bonnes mœurs !). Car si l’œuvre constitue une sorte d’allégorie du monde théâtral, à la fois surréaliste et hallucinatoire, elle est imprégnée des fantasmes propres à son auteur, dont les travestissements (d’hommes en femmes) et l’homosexualité. À la manière d’un Genet, bien avant la lettre. Une trame, ou plutôt une absence de trame, qui appelle d’autant la musique.
 
Aidé du librettiste Andrés Ibañez, le compositeur Mauricio Sotelo (né en 1961) l’a bien compris, qui pratique aussi le travestissement et le mélange foisonnant des genres. C’est ainsi qu’une écriture savante dans l’héritage postsériel, se combine de références appuyées à des musiques traditionnelles, avec force percussions et emprunts au flamenco (qui appartient tant à l’univers de Lorca). Cela aurait pu verser dans le disparate, mais la sauce prend. Et mieux, l’œuvre sait réserver des surprises tout en sachant se renouveler ; comme lors d’une seconde partie, avec l’apparition du chœur (le public en question, muet jusque-là) et la dispersion saisissante de la musique dans la salle elle-même. Une réussite, dans le cadre si parcimonieux en la matière de l’opéra contemporain.

© Javier de Real / Teatro Real

Il est vrai que la restitution au Teatro Real y participe pleinement. Robert Castro conçoit une mise en scène ébouriffée, qui joue de déguisements et de travestis, de masques et d’archétypes : une façon de commedia dell’arte revue par Dalí et Pedro Almodóvar. S’ajoutent des chorégraphies, contemporaines ou flamenco, qui donnent une vie de chaque instant. Entre des lumières crues changeantes et des décors abstraits mais évocateurs, le résultat esthétique est indéniable.
 
Les chanteurs et personnages se partagent en deux catégories : des interprètes traditionnels au monde de l’opéra, et d’autres issus du flamenco. Parmi ces derniers, des noms reconnus de ce répertoire (les chanteurs Arcángel et Jesús Méndez, le danseur Rubén Olmo) tout à fait à leur aise sur une scène lyrique. Thomas Tatzl, Josep Miquel Ramón et l’éblouissante soprano Gun-Brit Barkmin leur donnent la contrepartie du chant savant, mais qui en l’espèce n’est pas pris à rebrousse-chant. Les uns et les autres discrètement sonorisés, pour se fondre dans l’appoint électroacoustique.
 
Le Chœur titulaire du Teatro Real se révèle d’une parfaite cohésion dans ses interventions d’ensemble, tout comme dans les parties solistes ou en petite formation qui lui sont dévolues (pour leur part, sans aucune sonorisation). Excellent tout autant, le guitariste flamenco Juan Manuel Cañizares. Les vingt-quatre instrumentistes du Klangforum Wien, cosmopolite formation spécialisée dans la musique contemporaine qui fait le déplacement à Madrid, s’avèrent d’une efficacité redoutable sous la battue méticuleuse de Pablo Heras-Casado, étoile montante de la direction d’orchestre internationale.
 
Pierre-René Serna
 
M. Sotelo / A. Ibañez : El Público – Madrid, Teatro Real, 9 mars 2015

© Javier de Real / Teatro Real

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