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El Gato Montés à Séville - Quand la zarzuela confine à l’opéra - Compte-rendu

L’Opéra de Séville, le Théâtre de la Maestranza inauguré en 1992 (pour palier la sinistre démolition, dans les derniers temps du franquisme, du Teatro San Fernando vieux de cent cinquante ans), offre une programmation éclectique. Une dizaine de productions lyriques, dont toujours quelques touches de zarzuelas entre des opéras du répertoire, parsemées de concerts symphoniques, de récitals et de ballets, abreuvent chaque saison la soif musicale d’une ville élue entre toutes. Quand on sait que la cité des bords du Guadalquivir sert de cadre à plus de 150 opéras (1) !

C’est donc dans une belle lignée que s’inscrit El Gato Montés. Cette zarzuela, cet opéra, ou – mieux dit – cette zarzuela sans parties parlées (qui, à l’instar de l’opéra-comique français, fondent d’une certaine manière ce genre éminemment espagnol), plante ainsi son action et son sujet à Séville. Dans une Séville archétypale ! puisqu’il est question de gitans, de corrida, de toreros et d’amours fatales. Le livret revient au compositeur même, Manuel Penella (1880-1939). Celui-ci n’est pourtant pas sévillan, mais valencien d’origine, et a partagé de son vivant la gloire de sa cinquantaine de zarzuelas entre l’Espagne et toutes les Amériques (où El Gato Montés se maintiendra à l’affiche d’un théâtre new-yorkais durant dix semaines !). De nos jours, c’est surtout l’enregistrement paru en 1992 chez Deutsche Grammophon, avec Plácido Domingo, qui a rendu justice à Penella à travers son Gato Montés. La musique en est complexe, avec des chœurs foisonnants et une orchestration scintillante, dans une continuité qui colle à l’action et une esthétique vériste, certes, mais sans airs de bravoure (que les néophytes croient inhérents au genre de la zarzuela). Un succès fulgurant suivra la création de l’ouvrage en 1916 jusqu’aux années 30, pour ensuite ne perdurer que dans son célèbre paso doble taurin repris par toutes arènes.

Au Teatro de la Maestranza la production provient du Teatro de la Zarzuela de Madrid, où elle fut étrennée l’an passé. José Carlos Plaza la signe avec un talent peu ordinaire. Car il en fallait pour meubler un plateau laissé entièrement nu, uniquement habité par la foule bariolée des personnages, leurs vigoureux mouvements incessants, impeccablement réglés, et des lumières choisies. La scène de pantomime – la tragique corrida du deuxième acte où se noue le drame – figure à cet égard un modèle : animée de capes rougeoyantes et de lueurs crues, évocatrices plus et mieux qu’une action et un décor descriptifs. Saisissant !

Le saisissement est aussi pour la transmission musicale, avec des chœurs tempétueux, mais ardemment précis, et un orchestre cuivré qui l’est autant, l’excellent Orchestre symphonique de Séville, sous la baguette de Cristóbal Soler. Le plateau vocal répond d’un même élan : où se détache la vibrante Saioa Hernández (Soleá, ou l’héroïne malheureuse de l’histoire), mais aussi le ténor au timbre clair Andeka Gorrochategui (le torero transi d’un amour qui lui sera fatal), le baryton pénétrant Ángel Ódena (le rival, dit “ El Gato Montés ”, “ Le Chat sauvage ”, lui aussi promis à une fin funeste) et jusqu’à l’épisodique Vendeur ambulant, campé gaillardement par Miguel Ángel Sánchez (venu du chœur maison). Le Châtelet parisien serait bien inspiré d’emprunter cette production.

Pierre-René Serna

(1)Un ouvrage récemment sorti, Sevilla ciudad de ópera, en témoigne. À se procurer sur place.

Manuel Penella : El Gato Montés - Teatro de la Maestranza de Séville, le 6 mai 2013

Photo @ Teatro de la Maestranza

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Photo : DR

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