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Edgar Moreau et Pierre-Yves Hodique au Festival « Les Musiciens dans la Grande Guerre » du Palazzetto Bru Zane à Venise – Noblesse et ferveur – Compte-rendu

Lancé le 6 avril par le Trio Opus 71, le Festival « Les Musiciens dans la Grande Guerre » se déroule jusqu’au 28 avril et constitue un événement d’autant plus précieux que les programmes rares et originaux qu’il rassemble se limitent au cadre du Palazzetto Bru Zane à Venise (1) et ne feront pas l’objet de reprises au Festival Bru Zane à Paris en juin prochain. Salle archi comble, un peu de monde à la galerie même : le public a répondu très nombreux pour écouter Edgar Moreau (photo) et Pierre-Yves Hodique dans Jean Cras, Albéric Magnard et Louis Vierne.

Si E. Moreau se range depuis un bon moment déjà parmi les archets les plus demandés de la jeune génération et se confronte régulièrement aux grands opus du répertoire, il sait aussi – sa curiosité l’honore – trouver du temps pour des partitions rares (2). Après un très bel enregistrement de la Grande Sonate dramatique « Titus et Bérénice » de Rita Strohl en compagnie de David Kadouch (ouvrage que ces interprètes ont ensuite beaucoup défendu en concert), le violoncelliste fait équipe à Venise avec un autre de ses partenaires pianistes de prédilection, Pierre-Yves Hodique, dans un somptueux et exigeant programme français.
 

Pierre-Yves Hodique © Julien Mignot

Réalisation précoce dans le parcours de Jean Cras, le Largo en fa dièse mineur (1903, création posthume en 1934) se déploie avec une généreuse respiration, une sonorité profonde et noble. Admirable portique à l’orée d’un concert qui fait ensuite place à la Sonate pour violoncelle et piano en la majeur (1909-1910) d’Albéric Magnard, l’ultime réalisation chambriste de l’auteur de Bérénice.
Dans le Sans lenteur initial, les interprètes dévoilent un paysage de l’âme dont les contrastes, les atmosphères variées sont traduites avec un souffle intense et un remarquable sens des transitions. Que d’âpre énergie mettent-il ensuite dans le Sans faiblir, bref scherzo qui – enchaîné – conduit au cœur de l’ouvrage, noté Funèbre. Dans un dialogue très serré, le duo fait cheminer ce mouvement, pareil à une étrange procession nocturne, avec en son milieu une noire et saisissante bourrasque. Le climat s’allège sans doute un peu dans le Rondement, mais E. Moreau et P.-Y. Hodique ne s’y trompent pas : tension dans le chant, franchise de ton et vitalité rythmique ; une volonté inflexible domine comme il se doit cette puissante conclusion.

Trop rare dans les programmes elle aussi, la Sonate pour violoncelle et piano en si mineur op. 27 (1910) de Louis Vierne s'ensuit. Avec le Quintette op. 42, autre chef-d’œuvre terminé lui en 1918, elle constitue l’un des sommets de la production d’un créateur que l’on aurait tort de réduire à l’orgue. D’un geste ample mais dédaigneux de tout effet, E. Moreau s’empare du Poco lento/Allegro moderato ; comme depuis le début de la soirée, l'oreille s’émerveille une fois de plus de la beauté d’une sonorité dont on mesure combien elle s’est enrichie au fil des ans. Porté par un piano très complice, le violoncelliste extrait toute la sève expressive de ce premier épisode, avant de faire entendre une fervente prière dans le Molto largamente – quelle merveilleuse palpitation dans l’accompagnement d’Hodique ! –, puis d’emporter le Finale avec une fluidité et un élan qui ne nuisent jamais au dessin de la phrase.
En bis, l’Andante espressivo de Fernand de la Tombelle (3) conclut avec chic et poésie un grande heure de musique longuement applaudie.

Le Festival « Les Musiciens dans la Grande Guerre » ne fait que commencer ; il reste encore à entendre les concerts de François Dumont (16/04), Yann Beuron et David Zobel (18/04), des Trios Van Baerle (24/04) et Wanderer (27/04) et enfin de Tobias Feldmann et Joachim Car (28/04)

Alain Cochard

(1) le concert d’Edgar Moreau et Pierre-Yves Hodique était toutefois retransmis en direct sur classicalradio.bru-zane.com
(2) On vient d’en avoir une illustration avec de fringants Concertos d’Offenbach et... de Friedrich Gulda, accompagnés par Les Forces Majeures de Raphaël Merlin (1 CD Erato)
(3) Pièce qui figure sur le double CD d’Edgar Moreau et David Kadouch, au côté de la Grande Sonate de R. Strohl et d’ouvrages de Poulenc et Franck (Erato)
 
Venise, Palazzetto Bru Zane, 11 avril 2019 / Festival « Les Musiciens dans la Grande Guerre » jusqu’au 28 avril 2019 : www.bru-zane.com/fr/concerti-e-opere-2018-2019/ciclo-i-musicisti-nella-grande-guerra/

Photo © Julien Mignot

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