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A écouter les yeux fermés : La Walkyrie à L’Opéra Bastille

A l’issue de la première de cette nouvelle Walkyrie à l’Opéra Bastille, on est sorti rassuré sur l’avenir musical du nouveau Ring mis en chantier par Nicolas Joël. Le directeur musical de la maison Philippe Jordan a désormais pris la pleine mesure acoustique du grand vaisseau et affirmé son autorité sur ses musiciens. Il livre ici une conception personnelle de l’œuvre où il refuse de privilégier les grandes chevauchées vocales et symphoniques au détriment des paysages poétiques et intimistes que contient aussi cette vaste fresque héroïque. Les couleurs instrumentales y sont privilégiées, du timbre velouté des violoncelles aux appels sinistres des cuivres en passant le fruité aérien des bois.

Le plateau vocal est au diapason et offre une distribution particulièrement homogène dans la qualité, chacun passant la rampe sans aucun problème. Le chef du Walhalla n’est plus comme dans L’Or du Rhin en mars dernier l’Allemand Falk Struckmann mais son compatriote Thomas Johannes Mayer dont le baryton Verdi épouse à merveille toutes les contradictions d’un personnage à la fois velléitaire, cruel par obligation et aimant sa vaste famille. Face à lui, pour son épouse acariâtre Fricka, on a préféré au mezzo lyrique et peu projeté de Sophie Koch, entendue dans le prologue du Ring, celui plus percutant de la Suissesse Yvonne Naef. C’est le bon choix.

Côté tendresse, la Suédoise Katarina Dalayman sait manier la douceur… mais seulement après avoir lancé ses cris chevaleresques et joué du glaive et du bouclier. L’Allemande Ricarda Merbeth est une Sieglinde déchirée et déchirante face au Siegmund du ténor américain Robert Dean Smith : les deux forment un extraordinaire couple vocal. Reste le Hunding impressionnant de la basse autrichienne Günther Groissböck. La qualité des récitatifs, le mordant des airs comme la poésie parfois irréelle des duos parmi les plus beaux sortis de la plume de Wagner font de la soirée un moment de plénitude et de bonheur musical pour peu qu’on ferme… les yeux.

C’est peu dire, en effet, que la scénographie n’est pas à la hauteur du ramage entendu ! Si la direction d’acteurs de Günter Krämer est souvent remarquable avec ces regards entre les protagonistes ajustés comme des flèches, les décors et les costumes flanquent tout par terre par leur aspect bassement réaliste, voire naturaliste. Mais le metteur en scène n’est pas innocent de ce naufrage : comme un sale gosse qui casse ses jouets en douce, dès qu’il a caractérisé une situation héroïque, hors du commun en tout cas, il n’a de cesse de la tirer vers le bas pour ramener les divinités au niveau des séries B des télévisions germaniques, style Le Renard ou Rex.

Wagner comme les artistes réunis sur le plateau et dans la fosse méritent mieux que cela. Mais il n’y a pas seulement cette volonté de désacraliser le Walhalla, qui peut d’ailleurs se comprendre venant d’un scénographe d’outre-Rhin, il y a ce qu’on peut qualifier de racolage de bas étage et qui fait appel aux pulsions les plus troubles du spectateur. A l’allemande sans doute, on insiste pesamment sur la présence des fameuses pommes : les huit Walkyries font, à l’instar de Vénus chez Offenbach, « cascader la vertu » en jouant avec ces pauvres fruits.

Le plus beau vient après le meurtre de Siegmund, lorsque ces demoiselles ramènent les « héros morts ». On se trouve dans uns sorte de morgue où ces infirmières s’affairent à nettoyer les corps des hommes nus qu’elles ont déposés sur les tables métalliques après les avoir traînés dans des toiles avec une sorte de bonne humeur en contradiction totale avec la musique. Les morts se levant et traversant la scène dans le plus simple appareil nourriront les soupers de l’AROP et les conversations des salons de coiffure masculine…

Le début du premier acte n’est pas mal non plus : alors que Philippe Jordan déclenche l’une des plus violentes tempêtes de l’histoire de l’opéra, une bande armée trucide un groupe qui se trouve là par hasard. Deux étudiants qui avaient économisé pour venir au spectacle m’ont timidement avoué qu’ils n’y comprenaient rien : je les ai rassurés en leur disant qu’il n’y avait rien d’autre à comprendre que ce qu’ils avaient lu pour se préparer... Je ne vous parle pas du sublime hymne au printemps qui est chanté sous une pluie battante…

Vous avez compris : fermez les yeux ! Vous perdrez d’autant moins que la traduction des surtitres est bourrée de faux sens et d’approximations diverses…

Jacques Doucelin

Wagner : La Walkyrie – Paris, Opéra Bastille, 31 mai, puis 5, 9 16, 23, 26, 29 juin, 18h, 13 et 20 juin, 14h.

> Voir des extraits vidéo de la Walkyrie

> Programme détaillé de l’Opéra Bastille

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Photo : Opéra national de Paris/ Charles Duprat
 

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