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Don Giovanni selon Ivo van Hove au Palais Garnier - Mozart bunkerisé - Compte-rendu

A voir Ivo van Hove le visage émacié, ascétique dans son costume noir, au moment des saluts sur la scène du Palais Garnier, une seule chose nous a traversé l’esprit : cet homme a besoin de repos ! Car le metteur en scène belge n’arrête jamais, enchaînant les projets, reprises ou créations, au théâtre comme à l’opéra –  à un rythme effréné ! A peine remis de son nouveau spectacle présenté avec succès en avril à la Comédie Française, une géniale adaptation des deux pièces d’Euridpide Electre/Oreste, voilà qu’il répétait déjà Don Giovanni à la demande de Stéphane Lissner. Trop, c’est trop et Ivo van Hove a beau être un grand homme de théâtre, il vient d’échouer sur le chef-d’œuvre mozartien, là où Michael Haneke avait atteint des sommets.

Sèche, creuse, vide, sa proposition ne décolle jamais, l’absence d’idée force, laissant apparaître une mécanique qui tourne sur elle-même, privée de sens et de relance. Le décor unique tout de béton brut (signé comme les lumières blafardes, Jan Versweyveld), carcasses d’immeubles en construction où l’on retrouve les perspectives fuyantes de De Chirico et quelques escaliers tortueux à la Piranesi, accompagne les errances d’un Don Giovanni qui ne souffre certes aucune opposition (« Non soffro opposizioni » acte 2 scène 1) et qui, faute de carrure et d’argument, sort son pistolet pour avoir le dernier mot. Si la direction d’acteur révèle quelques micro-détails sur son comportement (les mains qui s’agitent nerveusement) et sur celui de ceux qui l’entourent – et en premier lieu un valet qui essaie de lui résister mais finit toujours pas s’aplatir devant lui –,  la grisaille est de mise.
Le couple Anna/Ottavio se soutient à défaut de partager des sentiments, Elvira n’a aucune personnalité, Zerlina et Masetto sont seulement sexuellement compatibles, tandis que le Commandeur, froidement exécuté par balle, revient tel qu’il était « au cimetière » puis « au dîner » avant de disparaître. Seul effet réussi de toute la soirée, d’impressionnantes images infernales en vidéo, semblables aux fresques de Giotto, ou de Signorelli, dans lesquelles des corps d’hommes démultipliés semblent avancer grandissant vers le public.
 

© Charles Duprat - OnP

Malgré les efforts mis en place par Philippe Jordan, qui a encore peaufinée sa lecture par rapport à 2012, pour animer la partition qu’il dépeint sans ostentation, avec justesse dramatique et conviction théâtrale et sans un seul temps mort – là où Haneke avait imposé des points d’orgue pour suspendre l’action – son orchestre donne des signes de fatigue, avare dans les couleurs et par moment empreint d’une certaine rigidité.
Difficile pour Etienne Dupuis (photo) qui débute dans le rôle-titre de faire oublier l’interprétation légendaire de Peter Mattei (par trois fois à la Bastille en 2006, 2007 et 2012), mais son Don Giovanni a de l’aplomb, du brio (Air du Champagne magnifique) et un côté insaisissable qui conviennent au personnage. Disséquant chacune de ses paroles et jouant avec une totale décontraction, Philippe Sly est un Leporello captivant, sans pour autant semer le doute comme Pisaroni chez Haneke. L’Anna de Jacquelyn Wagner a la voix du rôle, mais ne laisse transparaître aucune émotion sur son chant droit et sans vibration, tandis que l’Elvira de Nicole Car déçoit, malgré un instrument riche et corsé, par un manque de souplesse et une conduite du souffle défaillante que le « Mi tradi » met à nu. Elsa Dreisig (Zerlina), Mikhail Timoshenko (Masetto) et Ain Anger (Commendatore) chantent convenablement leurs parties, à la différence de Stanislas de Barbeyrac aujourd’hui égaré dans la tessiture trop haute d’Ottavio.
 
François Lesueur

Mozart : Don Giovanni – Paris, Palais Garnier, 11 juin ; prochaines représentations les 16, 19, 21, 24, 29 juin, 1, 4, 7, 10 et 13  juillet // www.operadeparis.fr/saison-18-19/opera/don-giovanni

Photo  © Charles Duprat - OnP

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