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Don Giovanni à l’Opéra de Monte-Carlo – La tradition a du bon – Compte-rendu

 Après les provocations de Calixto Bieito à Barcelone, les errements de Tcherniakov à Aix et les récentes élucubrations de Warlikowski à Bruxelles, le retour à un Don Giovanni traditionnel a de quoi surprendre. Habitués que nous sommes à être déstabilisés, interrogés, voire scandalisés, nous en oublierions presque que les mises en scènes peuvent aussi être simples et suivre le livret à la lettre.

Dans ce spectacle déjà présenté à Monte-Carlo en 2008, Jean-Louis Grinda aidé par ses habituels complices Rudy Sabounghui (décors et costumes) et Laurent Castaingt (lumières), situe l’intrigue dans un sobre décor inspiré des toiles de De Chirico, éclairé avec subtilité. La présence incongrue d’un immense lustre aux chandelles vacillantes au beau milieu d’une place de village, confère aux scènes nocturnes une mystérieuse atmospère, tandis que le ciel s’embrase au lointain, alternant couchers de soleil bariolés de rose et petits jours griffés de jaune.

Par-delà les images, belles et soignées - dont celle d’ouverture où plusieurs silhouettes de femmes masquées, conquises par Don Giovanni, annoncent son châtiment prochain, puisque celles-ci réapparaîtront avec le Commandeur pour le conduire aux enfers – on apprécie surtout la manière très vivante avec laquelle le metteur en scène raconte l’histoire et réussit à concilier, sans jamais forcer, les éléments comiques et tragiques trop souvent gommés.

Erwin Schrott partage cette conception. Comme un poisson dans l’eau, libéré de tout carcan, il donne libre cours à son instinct et invente quantité d’effets qui pourraient lasser, tant ils frôlent parfois la facilité ou la décontraction, mais qui au final fonctionnent. On comprend ainsi pourquoi tout l’opposait au concept imaginé par Haneke face auquel sa personnalité butait. Voulant sans cesse renouveler, surprendre dans les récitatifs qu’il fait siens, son bel instrument sonne avec puissance dans une salle aux dimensions intimes, là où il perdait de sa substance il y a quelques semaines sur la scène de la Bastille.
En Leporello, Adrian Sampetrean, plutôt inconsistant dans la production d’Haneke en février dernier, épouse avec intelligence les écarts théâtraux de son collègue, occupant le plateau avec un goût prononcé, un beau sens de la répartie et une voix bien timbrée. La Zerlina de Loriana Castellano a du caractère et du volume, mais devra apprendre à mieux contrôler sa fougue, si elle veut que l’on conserve de sa prestation un souvenir plus flatteur.
Face à elle, Fernando Javier Radó est un Masetto encore vert mais plutôt prometteur, tandis que Giacomo Prestia prête sa sombre voix au Commandeur. D’abord un rien effacé, le jeune ténor rossinien Maxim Mironov se montre d’une redoutable efficacité dans le second air d’Ottavio, « Il mio tesoro », qu’il domine grâce à une excellente technique et dont les délicates vocalises sur le souffle ne sont pas sans évoquer le jeune Florez.

Belle surprise avec l’Elvira aux phrasés capiteux de Sonya Yoncheva, dont le portrait très complet, proche de celui qu’en donne Véronique Gens, autre grande interprète actuelle, procure le sentiment qu’elle fréquente le rôle depuis longtemps alors qu’il s’agit d’une première : une rencontre à suivre.
Qui d’autre pouvait succéder à Annick Massis en Donna Anna que Patrizia Ciofi, fidèle à ce personnage qui fut son premier sur scène en 1990, à Modena, spécialement travaillé avec Claudio Desderi ? A l’outrage et au désir de vengeance des scènes introductives, qui nous valent un « Or sai chi l’onore » chanté archet à la corde, aussi habité que volcanique, répond une mélancolique douceur instillée par la soprano dans les tutti, puis savamment exploitée dans un « Non mi dir » où chaque inflexion belcantiste traduit les sentiments contradictoires qui la lient à ce pâle, mais bienveillant Ottavio.

Seule ombre au tableau, la partie musicale plutôt décevante, confiée au maestro Paolo Arrivabeni, peu inspiré si l’on en juge par la mollesse avec laquelle il soutient le discours, seulement intéressé par la métrique des ensembles (très beau « Non ti fidar » au 1er acte) et par l’énergie déployée lors des tutti (final du 1er acte en particulier).

François Lesueur

Mozart : Don Giovanni – 20 mars, prochaines représentations les 25, 27 et 29 mars 2015 / www.opera.mc

Photo © Alain Hanel-OMC

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