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« Dolce Vita » par l’Orchestre national d’Île-de-France à la Philharmonie – Des adieux aux couleurs italiennes pour Enrique Mazzola

Emotion à la Philharmonie de Paris le 22 mai lors du concert de l’Orchestre national d’Île-de-France et d’Enrique Mazzola (photo). Le moment est en effet venu pour ce dernier de quitter la direction musicale de la phalange – l’Américain Case Scaglione prendra le relai à la rentrée – au terme d’une période (il avait été nommé en 2012) durant laquelle il a contribué, avec la générosité et l’énergie qu’on lui connaît, à redynamiser et à redonner confiance et fierté à l’Ondif – à relancer son activité discographique aussi(1). Mais Mazzola n’a pas fini de faire parler de lui : chef principal de la Deutsche Oper Berlin depuis septembre, invité au Metropolitan Opera de New York en tout début d’année dans L’Elisir d’amore, sa carrière est en pleine ascension.
 

Alexander Gavrylyuk © alexandergavrylyuk.com

« Dolce Vita » : hommage à l’Italie, le dernier programme de Mazzola rassemble deux compositeur de la péninsule et un Russe inspiré par Paganini. On découvre d’abord le Prélude symphonique de Puccini, pièce de jeunesse (1876) pleine de promesses, de couleurs et de lyrisme déployé en grand large : preuve des talents d’orchestrateur du futur auteur de Tosca et magnifique entrée en matière avant la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov par Alexander Gavrylyuk. (2)
 
L’esprit du concerto romantique et virtuose s’impose ; le piano se fait tantôt compagnon de l’orchestre, chanteur élégiaque, ou second orchestre lui-même, profond, péremptoire, massif.
L’artiste d’origine ukrainienne se meut avec aisance et beauté sonore dans cet opus ; chaque variation est évidence sous ses doigts. Grâce à un piano presque électrique et à la bienveillance solaire de Mazzola, Rachmaninov ne souffre d’aucune pesanteur et joue même de transparence et de délicatesse. En toute simplicité, Gavrylyuk nous plonge en bis dans le calme nostalgique « des pays lointains », première pièce des Scènes d’enfants de Schumann.

© Eric Laforgue
 
Retour en Italie avec Les Fontaines de Rome d’Ottorino Respighi. Quatre fontaines presque croquées à quatre moment de la journée : ambiance pastorale du Val Julia à l’aube, jets d’eau et Naïades du Triton dans la matinée, Trevi brûlante et resplendissante sous le soleil de midi, crépuscule sur la Villa Medicis à l’heure des derniers chants d’oiseaux, tandis que la cloche sonne au loin.
Comparable aux grandes pages symphoniques de Debussy, cette partition ambitieuse, richement orchestrée, n’est que rarement donnée en France… Et son auteur, bien moins célèbre que son contemporain français ou que son compatriote Puccini. Enrique Mazzola a bien un conducteur sur le pupitre, mais qui restera fermé tout au long de la seconde partie. Le spectacle et les intentions musicales se jouent et se décodent sur sa battue, les expressions de son visage, belles et nombreuses, adressées à ses musiciens. Chaque solo de bois, chaque fanfare éclatante des cuivres, chaque envolée des harpes, ou intervention des percussions montre sa vigilance ; toujours il encourage ses instrumentistes à donner le meilleur. Cela s’entend et aucun pupitre n’est en reste, tous concentrés jusqu’aux chants d’oiseaux qui invitent à la contemplation des derniers rayons du soleil.
 
Les Pins de Rome forment le deuxième volet de la trilogie romaine de Respighi. De nouveau quatre mouvements pour quatre atmosphères, les jeux enfantins dans les jardins de Borghese, la fraîcheur et la mélancolie des catacombes, la nuit sur le Janicule et sa brise qui fait bruisser les arbres, enfin la marche triomphale sur la voie Appienne pour conclure en grande pompe – étourdissante luxuriance !  Bravo au solo de clarinette du Janicule… et aux bandas, installées de part et d’autre des balcons.
Tout cela valait au moins une rose rouge, portée par chacun des musiciens au moment des saluts et des applaudissements nourris d’une Philharmonie pleine à craquer. Un orchestre debout, tout à coup parsemé de rouge, pour ne pas oublier le regard si vif d’Enrique Mazzola, derrière ses désormais légendaires lunettes rouges. Merci maestro !
 
Gaëlle Le Dantec

(1) Dernière parution en date, chez #NoMadMusic comme tous les enregistrement de Mazzola avec l’Ondif, les Lieder eines fahrenden Gesellen et le Knaben Wunderhorn de Mahler et les Vier Orchesterstücke de Bruckner (1 CD NMM061)
 
(2) On retrouvera A. Gavrylyuk dans ce même ouvrage de Rachmaninov, le 8 juin, au côté de l’Orchestre national de Lille dirigé par Alexandre Bloch. Il remplace Nemanja Radulovic, souffrant, initialement prévu dans une pièce de B. Attahir. 
 
 
Paris, Philharmonie, Grande Salle Pierre Boulez, 22 mai 2019 // www.orchestre-ile.com
 
Photo © DR

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