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Der Freischütz en version de concert au Théâtre des Champs-Elysées – Les voix, la baguette et l’esprit – Compte-rendu

 Michel Franck a eu la main heureuse avec ce Freischütz choisi pour inaugurer la nouvelle saison du TCE qu'il dirige depuis 2010. Peu après Beethoven qui sua sang et eau pour imposer son Fidelio, œuvre inclassable et novatrice, Weber tenta lui aussi de poursuivre cette révolution en marche avec un modèle lyrique revisité, hérité du singspiel. Le livret de son septième opéra, inspiré du Livre des esprits de Apel et Laun, qui mêle tout ensemble éléments fantastiques, magiques et folkloriques alors très en vogue à cette époque, inspire au compositeur quelques moments savoureux, même si la construction a pu paraître inaboutie.
Les dialogues parlés remplacés ici par un obscur texte dit par Samiel, également narrateur, vient cependant compromettre le rythme et la structure de l'ouvrage, traduit de plus en français et dit de manière monocorde et sentencieuse par Graham F. Valentine (comédien proche de Christoph Marthaler). Thomas Hengelbrock (1) est fort heureusement le chef idéal pour transcender la partition et défendre avec conviction ce puzzle musical. A son entière disposition, le NDR Sinfonieorchester Hamburg déploie, sous son contrôle et son enthousiasme, toute une palette de couleurs, d'impressions et de sensations adaptées à chacune des situations.
 
Avec cette Agathe aux reflets opalescents et au legato soyeux, Véronique Gens confirme son statut de grand soprano français. Connue surtout de ce côté du Rhin pour ses Mozart et ses Gluck, la cantatrice a déjà affronté Pamina, Eva et ce Freischütz à la scène - au Staatsoper de Berlin en 2013 (2). Cette prestation parisienne montre d'évidentes affinités avec un répertoire qui n'attend qu'elle, ce personnage plutôt placide bénéficiant de sa longue voix à la pâte moelleuse et ductile, du rayonnement naturel de son instrument et de la plénitude d'un aigu libéré : à quand Elisabeth, Ariadne ou la Maréchale ? ...
 
Nikolai Schukoff (photo), qu'il est de bon ton de critiquer systématiquement, trouve en Max un rôle à sa mesure ; le timbre est certes mince et le volume réduit, mais la langue allemande apporte à son chant des appuis et des sonorités affûtées plus avantageuses encore que le français qu'il prononce pourtant parfaitement. Tantôt fougueux, tantôt égaré son héros soumis à la pression de forces supérieures lutte pour mieux se libérer, se trouver et se révéler enfin face à sa promise et à ceux qui ont douté de lui. Christina Landshamer est une piquante Annchen à l'instrument fruité et docile jusque dans la moindre vocalise, la basse Dimitry Ivashchenko est un magnifique Kaspar à la voix percutante, tandis que Yorck Felix Speer ne fait qu'une bouchée du robuste Kuno. Excellent lui aussi, le baryton d'origine croate Miljenko Turk dans le rôle d'Ottokar, rejoint par un Ermite de luxe confié à la basse Franz-Josef Selig.
Un mot encore pour saluer le WDR Rundfunkchor Köln et le NDR Chor Hamburg réunis, somptueuse « masse agissante » dont chaque intervention apporte un précieux contrepoint.

François Lesueur

(1)Thomas Hengelbrock occupera le poste de « chef associé » de l’Orchestre de Paris aux côtés du nouveau directeur musical Daniel Harding à compter de la rentrée 2016.
(2) dans une mise en scène de Nikolaus Lehnhoff dirigée par Julien Selemkour

Weber : Der Freischütz. Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 14 septembre 2015
 
Photo Nikolai Schukoff © nikolaischukoff.comFran

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