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De la maison des morts à l’Opéra national du Rhin - La force d’une épure - Compte-rendu

Avec De la maison des morts (1930), Robert Carsen clôt son cycle Janáček entamé il y a cinq ans à l’Opéra national du Rhin. Fébrilité, tension et noirceur caractérisent un spectacle situé dans un décor unique ; un huis clos concentrationnaire imaginé par Radu Boruzescu. Véritable masse de sans-espoirs que ces bagnards dont la détresse est rendue avec une grande économie de moyens. Le spectacle de théâtre de l’acte II, mis en scène par les prisonniers eux-mêmes, constitue le seul moment de détente dans cet univers oppressant.

Dans cette société d’hommes où le collectif l’emporte sur l’individu – à l’opposé de la mise en scène de Patrice Chéreau présentée au Festival d’Aix-en-Provence en 2007 –, les personnages peinent à se différencier au sein d’un monolithique et impressionnant « bloc humain ». Il faut toutefois noter les apparitions très suggestives de Nicolas Cavallier en déporté politique finalement libéré, la caractérisation de Patrick Bolleire en commandant du camp, ivre et sadique, l’intensité du prêtre incarné par Martin Barta, l’apparition touchante de Rémy Corazza en très vieux forçat, ou encore le rôle d’Aljeja généralement dévolu à une voix de femme, interprété avec une émouvante simplicité par Pascal Charbonneau.

La réussite est pour beaucoup à mettre au crédit de Marko Letonja, directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Le chef slovène a retenu la version revue par Sir Charles Mackerras et John Tyrrell, âpre et plus proche des intentions de Janáček. Il triomphe de la complexité ainsi que des multiples ruptures parsemant une partition complexe, poussant les musiciens dans leurs derniers retranchements. Sa lecture puissante, capable de conjuguer horizontalité et verticalité avec une parfaite cohérence, n’hésite pas à prendre des risques tout en offrant une assise sûre aux chanteurs et à des chœurs de l’Opéra national du Rhin homogènes et toujours investis. Cette production du dernier opéra de Janáček se distingue ainsi par sa profondeur et sa force de persuasion. On n’en sort pas indemne.

Michel Le Naour

Janáček : De la maison des morts - Strasbourg, Opéra national du Rhin, 3 octobre. Prochaines représentations à Mulhouse (La Filature) les 18 et 20 octobre 2013

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Photo : F. Godard
 

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