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De Geneviève à Mrs Quickly Une interview de Marie-Nicole Lemieux


La popularité grandissante de Marie-Nicole Lemieux n’a en rien entamé la fraîcheur, la simplicité et l’enthousiasme d’une artiste qui a rendez-vous avec Paris cette semaine au Théâtre des Champs-Elysées pour un récital Schumann- Brahms, tandis que paraît un CD Schumann chez Naïve(1). La France connaît sans doute mieux la contralto québécoise dans Vivaldi, en compagnie de l’Ensemble Matheus de Jean-Christophe Spinosi(2). Marie-Nicole Lemieux est pourtant au cœur de son répertoire avec la musique romantique allemande…

Vous sortez tout juste d’une série de représentations de Pelléas et Mélisande à Vienne où vous teniez le rôle de Geneviève dans une production mise en scène par Laurent Pelly et dirigée par Bertrand de Billy. Que retirez-vous de cette expérience, qu’a-t-elle éventuellement modifié dans votre approche du rôle ?

Marie-Nicole Lemieux : Je n’ai plus de Pelléas en perspective pour les temps prochains et j’ai été heureuse de terminer ce « cycle Geneviève » en beauté. La mise en scène de Laurent Pelly n’est pas du tout dans le symbolisme, mais au contraire très ancrée dans la réalité. J’ai beaucoup apprécié de travailler avec Natalie Dessay, Laurent Naouri, Phillip Ens et Stéphane Degout que je retrouvais avec bonheur pour la deuxième fois dans cette œuvre puisque nous avions déjà fait Pelléas à Bruxelles. Natalie a donné une Mélisande très humaine, très touchante – une femme que l’on comprend. Et quelle joie ça a été de travailler pour la première fois avec Bertrand de Billy ! C’est un très grand musicien, un vrai chef d’opéra, attentif aux chanteurs, clair, musical, précis et d’une extrême gentillesse. Tout cela dans l’écrin du Théâtre an der Wien…

Mon approche du rôle de Geneviève n’a pas changé ; j’ai pu explorer différentes facettes de ce personnage que j’abordais pour la quatrième fois. Un peu comme pour mon premier Pelléas, dans une mise en scène de Martinoty, il s’agissait d’une Geneviève dans le présent, dans l’action.

Les auditeurs français qui vous connaissent d’abord dans la musique baroque seront peut-être un peu surpris de vous retrouver dans Schumann ou Brahms, en compagnie du pianiste Daniel Blumenthal. Ce sont de vieilles connaissances pourtant ?

M.N. Lemieux : Il y a en effet très longtemps que je fréquente Schumann, Frauenliebe und Leben en particulier. Après le Reine Elisabeth (ndlr : M. N. Lemieux a obtenu le 1er Prix et le Prix du lied de la célèbre compétition belge en 2000), j’ai eu la grande chance de faire deux tournées de récitals (l’une de 37, l’autre de 27 concerts), une expérience irremplaçable qui m’a permis d’explorer ce répertoire en profondeur. Il ne m’a jamais vraiment quitté, mais il est vrai qu’en France on me connaît plus pour mes Vivaldi avec Jean-Christophe Spinosi. C’est la raison pour laquelle aussi je trouvais important et intéressant d’enregistrer ce répertoire. Schumann fait partie de mon monde musical ; un répertoire que j’aime et qui se prête bien à mon type de voix – Schumann m’est cher, tout comme Brahms, Mahler ou Schubert.

Daniel Blumenthal est un partenaire de longue date. C’est avec lui que j’avais réalisé mon premier CD (Berlioz, Wagner, Mahler) après le Reine-Elisabeth, avec lui aussi que, plus récemment, j’ai enregistré le récital de mélodies françaises « L’heure exquise ». Je l’ai rencontré par hasard et par chance au Reine-Elisabeth. Daniel est un ami, un grand musicien, un chambriste, pas un accompagnateur de chanteur. Il s’inscrit dans la grande tradition des pianistes de métier, de musique, de culture et d’expérience. Je n’aurais pas imaginé enregistrer mon CD Schumann avec quelqu’un d’autre. C’est avec lui que j’avais fait ma tournée de récitals après le Reine-Elisabeth. De grands noms ont enregistré ces Schumann et je ne me serais pas permis de le faire si je n’avais pas disposé de ce bagage, de la chance d’avoir tant chanté ces oeuvres en concert.

Après Schumann, un tout autre univers vous attend : dès le 1er mars à Munich vous serez la Mrs Quickly de Falstaff, rôle que vous reprendrez en juillet à Glyndebourne…

M. N. Lemieux : J’ai déjà chanté Mrs Quickly la saison dernière à Paris et, en 2003 à Francfort. J’étais une « bébé Mrs Quickly » à l’époque ! C’est dont la troisième fois que j’aborde ce rôle. C’est un rôle bandant ! On y trouve tout : le théâtre, la comédie, la beauté, la splendeur musicale de Verdi ; tout l’expérience du compositeur y est mise au service du théâtre musical. C’est magnifique à faire !

De nouveaux rôles en vue ?

M.N. Lemieux : Je me prépare à enregistrer Polinesso dans Ariodante de Haendel, sous la direction d’Alan Curtis, avec Joyce DiDonato – je me réjouis de chanter pour la première fois aux côtés de cette grande artiste - , et de Karina Gauvin. On devrait avoir beaucoup de plaisir musical à réaliser cet enregistrement ! Je vais aussi avoir l’occasion de chanter Orlando furioso sur scène pour la première fois. D’autres prises de rôles ne sont pas encore confirmées et je ne puis donc vous en parler pour l’instant.

Le répertoire, c’est l’avantage et le désavantage du contralto par rapport au soprano. Il a un répertoire plus vaste, mais ça nous donne la chance de refaire beaucoup de rôles. Il n’y a rien de mieux pour l’artiste que de refaire, que d’explorer, de mûrir un rôle ; de grandir avec une partition. Et ça présente évidemment un côté très sécurisant pour la voix qui peut ainsi se conserver et grandir.

Propos recueillis par Alain Cochard, le 27 janvier 2009

(1) 1 CD Naïve V5159

(2)Après Orlando Furioso enregistré en 2004 (Naïve OP 30393), on a retrouvé M.N. Lemieux il y a peu dans une superbe Fida Ninfa (Naïve OP 30 410)

Marie-Nicole Lemieux en récital au TCE. Daniel Blumenthal, piano / Antoine Tamestit, alto. Œuvres de Schumann et Brahms. Vendredi 6 février 2009 à 20h

> Programme détaillé du Théatre des Champs-Elysées

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Photo : Denis Rouvre/Naïve

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