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De Ciboulette au Bal de Béatrice d’Este – Le printemps de Reynaldo Hahn

Musicien mondain, a entretenu une relation amoureuse avec Marcel Proust : ainsi pourrait-on formuler de façon à peine caricaturale la vision outrancièrement réductrice que la France a longtemps eu de Reynaldo Hahn (1874-1949). Mais les choses évoluent enfin. Un livre, des spectacles et parutions discographiques en sont la preuve en ce début 2015, et ne peuvent que réjouir ceux qui savent que, derrière les clichés et les préjugés, un musicien complet et singulier et un legs diversifié attendent d’être redécouverts
 
« Désormais dégagée du contexte de son temps, la musique de Reynaldo Hahn est entrée dans une atemporalité qui nous la rend intelligible en soi, en dehors des modes et des subversions esthétiques », remarque justement Philippe Blay, grand spécialiste français de Hahn, dans l’ouvrage collectif « Reynaldo Hahn, un éclectique en musique » qu’il a dirigé – une précieuse publication disponible dans la nouvelle collection Palazzetto Bru Zane d'Actes Sud (1). En plus de ses remarquables contributions (sur Le Marchand de Venise et Ciboulette en particulier), celles d’Eva de Vengohechea – petite-nièce du compositeur et infatigable avocate de la cause hahnienne  -  de Jean-Christophe Branger, Luc Fraisse, Vincent Giroud, Myriam Chimènes, Stéphan Etcharry, Aurélien Poidevin, Christophe Mirambeau, Jacques Tchamkerten, Emmanuel Reibel, Lionel Pons, Sylvain-Paul Labartette et Gérard Condé tracent un passionnant portrait de l’éclectique Reynaldo (traitée par V. Giroud, l’activité du critique musical n’a pas été négligée) de façon aussi sensible que documentée et éclairent une production dominée par l’amour du chant et l’exigence de clarté.
 
Armé de ce fort volume, on n’en goûtera que mieux les spectacles et parutions discographiques qui font l’actualité du moment. A Paris, en pleine saison de son tricentenaire, l’Opéra Comique reprend (du 27 avril au 3 mai) Ciboulette dans la mise en scène de Michel Fau. A ranger parmi les grandes réussites des années de Jérôme Deschamps à Favart, ce spectacle vu en 2003 (un DVD disponible chez FraMusica en garde le souvenir) revient dans une distribution largement renouvelée. Mélodie Louledjian succède ainsi à Julie Fuchs dans le rôle-titre, Tassis Christoyannis à Jean-François Lapointe en Duparquet. Eva Ganitzate et Bernadette Lafont sont hélas décédées et c’est à Olivia Doray et Andréa Ferréol que reviennent respectivement Zénobie et Madame Pingret. Mais on retrouve l'Antonin de Julien Behr et le Roger de Ronan Debois, épatants, tout comme Jean-Claude Sarragosse et Guillemette Laurens pour un couple Grenu haut en couleur. A nouveau dans la fosse, Laurence Equilbey dirige cette fois l’Orchestre de chambre de Paris, avec Christophe Grapperon à ses côtés pour la préparation du Chœur Accentus.
 
Coproducteur de cette Ciboulette, l’Opéra de Saint-Etienne s’intéresse à nouveau à Reynaldo Hahn – élève de Massenet on s’en souvient - et propose (du 27 au 29 mai) en ouverture de la Biennale Massenet la recréation française du Marchand de Venise, ouvrage représenté pour la première fois le 25 mars 1935 à l’Opéra de Paris, sous la direction de Philippe Gaubert, avec André Pernet en Shylock.
La dernière représentation scénique du Marchand a eu lieu à l’Opéra de Portland en 1996 (avec Alain Fondary, sous la baguette de Marc Trautmann) et c’est donc avec impatience que l’on guette une production stéphanoise mise en scène par Arnaud Bernard et dirigée par Franck Villard. Ce d’autant plus qu’une superbe distribution française est réunie pour la circonstance (Pierre-Yves Pruvot, Gabrielle Philipponet, Isabelle Druet, Guillaume Andrieux, Magali Arnault-Stanczak, etc.). Après Le Mage et Les Barbares, Saint-Etienne s’apprête une fois de plus à attirer les curieux de raretés lyriques.
 
Le disque fait aussi honneur à la mémoire de Reynaldo Hahn. Sorti à la fin de l’année dernière,Le Rossignol éperdu, grand recueil de « Poèmes pour piano », a trouvé en Billy Eidi un interprète de premier ordre (2). Son interprétation rend parfaitement justice à cette musique avec une palette sonore subtilement nuancée, idéalement accordée à l’esprit de miniatures qui sont autant de pages d’un « journal intime » pour reprendre la formule d’Emmanuel Reibel.
Annoncée dans les jours prochains, la sortie du programme de musique pour vents que le découvreur Ensemble Initium (déjà remarqué pour un bel album Onslow) a réalisé avec l’Orchestre des Pays de Savoie et Nicolas Chalvin mérite lui aussi qu’on s’y attarde (3). Avec cette parution, le catalogue s’enrichit d’une version moderne du Concerto provençal, du Divertimento pour une fête de nuit, du Bal de Béatrice d’Este, ainsi que d’une Sérénade inédite (de 1942).
Beau printemps pour l’auteur des Etudes latines !
 
Alain Cochard

  1. « Reynaldo Hahn, Un éclectique en musique », sous la direction de Philippe Blay (Actes Sud / Palazzetto Bru Zane ; 500 p., 55 €). Cet ouvrage est le fruit d'un colloque qui s'est tenu au Palazzetto Bru Zane en 2011.
  2. Le Rossignol amoureux, Billy Eidi (piano) ;  2 CD Timpani 2C2229
  3. Le bal de Béatrice d’Este, Concerto provençal, Divertimento pour une fête de nuit, Sérénade (inédite) – Ensemble Initium, Orchestre des Pays de Savoie, dir. Nicolas Chalvin ; 1 CD Timpani, sortie le 21 avril 

Hahn : Ciboulette
Les 27, 29 avril, 3, 5 et 7 mai 2015
Paris – Opéra Comique
www.concertclassic.com/concert/ciboulette-de-reynaldo-hahn-0
 
Vidéo : www.concertclassic.com/video/ciboulette-de-reynaldo-hahn-lopera-comique
 
R. Hahn : Le Marchand de Venise
Les 27, 29 et 31 mai 2015
Saint-Etienne – Opéra-Théâtre
www.operatheatredesaintetienne.fr/otse/saison-14-15/spectacles//type-lyrique/le-marchand-de-venise/s-334/
 
Photo © DR

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