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Das Lied von der Erde par le Ballet de Hambourg – John Neumeier au sommet – Compte-rendu

Lors de la création de ce ballet au Palais Garnier, en 2015, on s’était dit que c’était là sans doute la dernière pièce de John Neumeier faite pour le Ballet de l’Opéra. L’ère Millepied commençait, les deux hommes n’avaient guère d’affinités – le mot est faible –, et le nouveau seigneur du logis ne se déplaça pour aucune répétition dans sa maison, alors qu’elle abritait en ses murs le plus grand chorégraphe contemporain néo-classique – lui-même excepté bien sûr ! Heureusement Brigitte Lefèvre, grande admiratrice du maître, avait tenu bon. A ce jour, avec l’arrivée d’Aurélie Dupont, qui fut notamment une sublime Sylvia et incarna ici bien d’autres héroïnes neumeieriennes, on se prend à espérer que les portes se rouvriront ...

© Kiran West

Mais si Sylvia, justement, avait été façonné aux mesures de la troupe parisienne, et en hommage au style français, que Neumeier avait su capter comme un papillon dans un filet, au point que lorsque sa propre compagnie hambourgeoise le dansa, ce fut moins éloquent qu’à Paris.

Pour Das Lied von der Erde, au contraire, on plongeait au cœur de la culture germanique et austro-hongroise, et bien évidemment le chorégraphe a trouvé avec ses danseurs et son public la résonance espérée. Revoici donc, comme un chant d’adieu non morbide mais sur lequel l’ange solitude étend ses ailes, ce ballet austère, d’une pureté de lignes et de lecture d’une incroyable délicatesse et profondeur, dont la lente progression fascine. On sait le rapport quasi fraternel de Neumeier avec Mahler, dont il a illustré une bonne part de l’œuvre symphonique. Mais peu lui ont convenu, la IIIe Symphonie exceptée, comme cette méditation sur la condition humaine qui se résout en une immersion dans la nature. Tout chez lui part de la musique, et particulièrement cette mélopée finale de l’Abschied, que le compositeur noie dans d’incessants retournements, avant de la dissoudre dans une presque absence de contours sonores. Et épouse intimement le chemin qui lui est offert.

© Kiran West

En fond de ce tissu poétique, composé d’antiques poèmes chinois traduits librement, un homme contemple les facettes de la vie humaine, y prend part parfois, se laisse entourer par un homme et une femme, avant de dire adieu à ces tendres tentatives, au sein d’un immense pas de deux où les gestes de refus, d’éloignement se déploient avec une infinie mais inexorable douceur. Certains passages bouleversent particulièrement : ainsi celui où Neumeier plante son héros sur la scène, figé, et le laisse regarder le monde des autres, qui virevoltent ou s’étirent autour de lui. Nul ne sait faire parler ainsi l’immobilité, et l’on l’avait déjà vu dans Sylvia et la IIIe Symphonie. C’est un miroir qu’il nous tend, mémoire de beauté, images enfuies qui ne sont en rien des illustrations du texte, mais en font ressentir le sens profond.

© Kiran West

Et être servi ainsi par des danseurs qui sont suspendus aux moindres pensées du créateur, lequel a d’ailleurs encore approfondi vers une dimension spirituelle sa quête musicale et humaine, est un rare privilège, que connurent Balanchine, Robbins et Béjart notamment. Neumeier a ici mis en valeur son plus beau, son plus touchant danseur, l’ukrainien Alexandr Trusch, qui montre une empathie totale avec la musique. En face de lui, la fabuleuse Hélène Bouchet, laquelle, malgré une carrure légèrement forcie, déploie son rôle d’ange et de femme avec une limpidité, une grâce moelleuse, une passion retenue, qui évoquent irrésistiblement la Giselle du 2e acte.

Et comme toujours à Hambourg, pas de bande sonore, mais des interprètes de grande qualité, la brillante Philharmonie en premier, le vif et intelligent chef australien Simon Hewett et l’excellent baryton Michael Kupfer-Radecky, tandis que Klaus Florian Voigt, pourtant réputé, décevait par le caractère criard de sa voix haut perchée. Mais l’émotion de ce parcours aussi minutieux que s’il avait été écrit sur un grain de riz, palpite en nous encore. Quand le spectacle se fait transmission.
 
Jacqueline Thuilleux

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Das Lied von der Erde (Chor. J. Neumeier, mus. G. Mahler) - Hambourg, Opéra, 4 décembre ; autres représentations les 6, 9, 13, 15, 15, 17,
Décembre 2016 et le 15 juillet 2017/ www.hamburgballett.de

Photo © Kiran West

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