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Daphnis et Chloé selon Benjamin Millepied à l’Opéra Bastille - Grâce et joliesse - Compte rendu

Daphnis et Chloé, chorégraphie de Benjamin Millepied à l’Opéra de Paris. Aurélie Dupont (Chloé) et Hervé Moreau (Daphnis)

Le voilà, l’événement annoncé, ce Daphnis et Chloé que Benjamin Millepied chorégraphie pour l’Opéra de Paris alors que son entrée en scène comme directeur du ballet s’annonce pour la rentrée. Le jeune homme, promu vedette internationale pour ses hauts faits cinématographiques et sa participation brillante au New York City Ballet, plus que pour ses tentatives personnelles depuis 2012 avec le modeste L.A. Dance Project, s’attaque ici à une partition et à un ballet mythiques, les deux étant étroitement liés puisque Ravel écrivit son œuvre à la demande de Diaghilev et de Fokine, dont les liens se brisèrent à cette occasion. Ballet russo-français, donc, créé en 1912, puis repris par de nombreux chorégraphes durant un siècle, de Lifar à  Skibine où brilla Claude Bessy au plus fort de sa beauté, et surtout  à Neumeier, qui mêla avec un charme envoûtant le rêve grec et la sensualité juvénile naissante.
 
De Millepied, dont on a vu déjà deux œuvres crées par l’Opéra outre de nombreuses pièces qui courent les ballets des opéras régionaux, on sait la fluidité, la souplesse, le chic, sans que la trace laissée dépasse ce niveau. Il se dit balanchinien, mais dans ce nouvel opus, c’est incontestablement de Jérôme Robbins qu’il se rapproche, par la sensibilité des pas de deux, des étreintes, la joie bondissante tout en déliés, et une gestique beaucoup moins géométrique que celle pratiquée par Balanchine. Ne retenant de l’histoire que quelques lignes de force, -les amoureux, la capture de Daphnis par un méchant rival, l’intervention de Pan, ici juste un effet lumineux, puis l’extase finale-, il suit la musique au plus près, collant à ses moindres inflexions avec naturel, mais avec un curieux manque de sensualité et sans trouver de dimension dramatique  ni creuser sa lecture. Au passage, on se dit qu’on n’est pas loin de l’univers tout en fraîcheur de Yondering, de Neumeier, dans les portés et les tournoiements, mais comme ceux-ci ne s’arrêtent à peu près jamais, tout finit par ressembler à un joli rêve étale auquel on n’adhère que peu.
 
D’ailleurs, Millepied, qui n’a rien d’un provocateur, a laissé ses danseuses en pointes et les a revêtues de tuniques des plus classiques, façon américano-grecque typique. A vaincre sans péril… Le chorégraphe, qui disait tenir là son pari le plus ambitieux, n’a pas à s’inquiéter, ni le public : dans son Daphnis et Chloé, l’académisme n’est pas menacé. Même Daniel Buren, frété pour son goût des colonnes, des rayures et des couleurs brutes, n’arrive pas à nous secouer malgré ses variations sur le thème du rond et du carré, qui passent du jaune à l’orange, et du vert au bleu, couleurs qui recouvrent au final les silhouettes des danseurs, comme si le son et les couleurs l’emportaient sur le sujet. Plaisant, et très années 70.
 
Reste la direction de Philippe Jordan, qui engagé très sincèrement dans l’entreprise, avec les Chœurs et l’Orchestre de l’Opéra, donne à l’étrange musique de Ravel, une force inaccoutumée, parfois excessive, mais salutaire assurément vu la douce monotonie de la danse. Et, comme artisan de ce succès programmé, Millepied a la chance de compter sur des interprètes aussi ravis que magnifiques, car il sait les sensibiliser à son propos, plus qu’il ne sait convaincre le public. D’Aurélie Dupont, on redit une fois encore la grâce élégante, la sensualité discrète, tandis qu’Hervé Moreau a plus la stature d’un prince antique que d’un modeste berger. Mais on ne s’en est pas plaint ! Superbe aussi le couple glamour Eleonora Abbagnato-Alessio Carbone, tandis que François Alu s’affirme comme l’une des personnalités les plus fortes de la nouvelle vague, avec ses bonds et ses pirouettes qui font sursauter le public. Il a été vigoureusement acclamé.
 
Auparavant, un vieil ami de retour, l’inusable Palais de Cristal écrit en 1947 par Balanchine pour le Ballet de l’Opéra, dont il connaissait bien le style puisqu’il y fut maître de ballet cette même année. Sur la Symphonie en ut de Bizet, qui venait d’être redécouverte, se déroulent, comme en un jeu de cartes, toutes sortes de figures d’un académisme complexe et distingué, du même esprit de fraîcheur que l’adorable musique,  à laquelle Jordan donne malheureusement une violence presque straussienne, ce qui lui fait perdre beaucoup de sa grâce. Scintillements et broderies font des costumes de cette nouvelle production, un bouquet étincelant, où le maître Christian Lacroix, comme il le fit pour Joyaux, du même Balanchine, a mis sa patte de coloriste audacieux. Une brassée d’étoiles a été requise pour ces quatre mouvements où elles alternent en démonstrations de style et de technique variées, mais on ressent peu d’osmose entre cette nouvelle génération et un hymne au classicisme qui semble les ennuyer légèrement, à l’exception d’Amandine Albisson, dernière étoile nommée, qui impose avec une joie communicative son éclat et sa jolie technique. On ne dira rien des méformes de ses camarades, ni du peu d’intérêt de leurs prestations.
 
Jacqueline Thuilleux
 
Balanchine/Millepied – Paris, Opéra Bastille, 10 mai 2014, prochaines représentations les 14, 15, 18, 21, 25, 26, 28, 29, 31 mai et 3, 4, 6 juin 2014.
www.concertclassic.com/concert/balanchine-millepied

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