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Dans les Jardins de William Christie - Musiques et reflets d’eau sous la pleine lune - Compte-rendu

Pour sa quatrième édition, le festival « Dans les Jardins de William Christie, Rencontres musicales en Vendée », maintient le cap. Une longue semaine où se bousculent petits récitals d’après-midi dans les bosquets et autres théâtres de verdure, puis une grande soirée musicale, finie par un après-concert en forme de « méditation » dans l’église du village de Thiré. Se réunissent pour l’occasion les Arts Florissants, les solistes du Jardin des Voix, les Arts Flo juniors et les musiciens de la Julliard School de New York. Autrement dit : l’émanation de tout le petit monde de Christie, musiciens confirmés et nouveaux espoirs, sous l’égide du maestro et de son brillant second, Paul Agnew.
 

Paul Agnew © Pascal Gély
 
L’idée, comme on sait, est de parer de musique la propriété que Christie avait acquise en 1985, demeure historique à l’abandon, pour en faire au fil des ans un jardin enchanté. Sur 12 hectares, les jardins occupent 2,5 hectares, mais distribués en autant de recoins propices à la rêverie ou à la flânerie, comme à l’art des sons : « Terrasses », « Cour d’honneur », « Miroir d’eau », « Jardin éphémère », perspectives, allées, vergers, statues, parterres fleuris… Le tout dans l’esprit de l’art des jardins français et italiens des XVIIe et XVIIIe siècles. Une sorte de petit Versailles ou de petite Villa Médicis, versant végétal des goûts musicaux du maître de céans. On ne se refait pas…
 
Cette résurrection jardinière surgie du passé s’illustre ainsi de musiques qui lui correspondent. Pour un festival de forte personnalité, unique en son genre (sachant que la saison musicale de Versailles ou le festival du château de Sans-Souci à Potsdam et autres lieux royaux, n’ont pas le même caractère d’intimité).

@ Julien Gazeau

 
Les après-midis se donnent donc à des « Promenades musicales », petits concerts de courte durée se succédant de 15 minutes en 15 minutes, où le public peut picorer, se laisser à aller à la surprise ou vaquer au gré de son inspiration et de sa fantaisie. Pour notre part, nous nous sommes laissé tenter par l’évocation de Francesco Rasi, l’un des créateurs de l’Orfeo de Monteverdi, transmis par le théorbe de Thomas Dunford et le chant immanent de Paul Agnew ; mais aussi des duos de Monteverdi, avec la mezzo Lea Desandre et l’alto Carlo Vistoli, accompagnés par le même théorbiste et Christie au clavecin ; et des extraits du Beggar’s Opera et des arias baroques espagnols, avec Lucía Martín-Cartón et Nicholas Scott ; et encore le Concerto n° 10 pour quatre violons de Vivaldi, avec des jeunes instrumentistes survoltés. L’après-midi finissant en grande formation avec solistes et orchestre, sur un florilège d’airs et ensembles lyriques italiens (dont le rondo final de La Cenerentola de Rossini, une escapade chez Christie !). On note – bienheureuse surprise ! – que les frondaisons des arbres, les cours d’eau et étangs, les futaies, constituent une enveloppe acoustique tout à fait propice à ces concerts en petit comité.
 

@ Julien Gazeau
 
Le soir se réserve au grand moment : « Un jardin à l’italienne », spectacle échafaudé à partir d’extrais d’opéras sur des livrets italiens, de Stradella, Cimarosa, Vivaldi, mais aussi Haendel, Haydn, Mozart, avec les solistes du Jardin des Voix, un orchestre regroupant les Arts Flo et les Julliard, sous la battue de Christie. Le réceptacle, si l’on peut dire, est une scène posée sur un plan d’eau, éclairée de projecteurs nichés sur les arbres environnants, le public s’égayant sur des chaises à même la pelouse cernant l’étang. L’aspect est saisissant, avec la perspective en arrière-plan d’un mur végétal de portiques somptueusement illuminé. L’acoustique le serait moins, malgré les présumées vertus aquatiques en ce domaine, avec un son quelque peu estompé, lointain, mais clair. Les participants n’appellent que des éloges, côté instrumental ou vocal, dans le fondu d’ensemble comme les individualités. Mentionnons les chanteurs, promis à une belle carrière : le baryton Renato Dolcini, la basse John Taylor Ward, et déjà cités, la soprano Martín-Cartón, la mezzo Desandre, le contre-ténor Vistoli et le ténor Scott. Toutefois dans un constant mezzo-forte, incidence de l’acoustique susmentionnée, beau nonobstant. Sophie Daneman et Paul Agnew animent l’ensemble d’une affriolante mise en espace, dans une joie scénique incessante. Avec le soir venu, la pleine lune nimbe le spectacle d’une clarté immatérielle. Le charme est complet.
 
Mais la longue journée n’est pas close pour autant, s’achevant par de vaporeuses « Méditations à l’aube de la nuit » (joli titre !) dans la chapelle romane du petit bourg, à cinq minutes à pied de la propriété, avec des pages sacrées de John Dowland. Par l’art vocal élégiaque d’un Agnew et une poignée d’instrumentistes tout autant évanescents. Dans le recueillement, puisqu’au public il est demandé de ne pas applaudir, s’éloignant pour finir à pas de loup dans le silence. Une invite à prolonger la nuit dans la sérénité intérieure.
 
Pierre-René Serna
 
Thiré, 28 août 2015

Photo W. Christie © Julien Mignot

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