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« Dans Carmen, j’entends l’énergie de la Commune » - Une interview d’Olivier Py

La riche saison de l’Opéra de Lyon se termine avec une nouvelle production de Carmen signée d’Olivier Py. José Maria Lo Monaco incarne le rôle-titre, sous la baguette de Stefano Montanari. Grand passionné d’opéra français, le metteur en scène dévoile pour Concertclassic son approche de l’ouvrage de Bizet.

Avez-vous choisi une approche plutôt dionysiaque ou plutôt politique de Carmen ?

Olivier Py : « J'ai forcément une approche nietzschéenne. Quand on travaille sur Wagner, on doit forcément se demander pourquoi Nietzsche l'a abandonné. En travaillant sur Carmen, ce qui m'a le plus frappé, c'est de voir à quel point le folklore espagnol était une excuse pour parler de la société de son temps et de la France. Je savais que Carmen était peut-être la première œuvre qui affirmait le lien entre la sexualité et la mort, mais je n'avais pas imaginé que sa portée politique fût si forte. « Un enfant de bohème qui n'a jamais connu de loi », ce n'est pas une formule. Il y a une véritable volonté révolutionnaire. La figure de la gitane reste une figure subversive. Lorsqu'il est mort, Bizet travaillait sur Sainte-Geneviève, une autre figure de femme révolutionnaire. Je crois que ce qui a été déterminant pour Bizet, c'est la Commune. Dans Carmen, j'entends l'énergie de la Commune.

Pour la scénographie, retrouvez-vous les couleurs de votre production de Lulu, une autre femme subversive ?

O. P. : Oui, avec Pierre-André Weitz, nous avons très vite eu l'idée de supprimer tout folklore espagnol pour faire apparaître la révolte sociale sous l'histoire d'amour romantique. Il y aura évidemment beaucoup de couleurs vives. La partition est comme ça. Mais nous jouerons aussi beaucoup sur le théâtre dans le théâtre. Don José est fasciné par Carmen mais aussi par sa théâtralité. Elle joue, elle chante, elle danse. On ne peut pas monter Carmen sans chanter ni danser. Mais elle est aussi une figure de l'artiste. Il y a une sorte de tradition qui voudrait qu'on doute toujours de l'amour de Carmen pour Escamillo, comme s'il était un objet avant d'être un personnage. Or moi qui suis fasciné par les toreros, j'ai du mal à croire qu'elle puisse ne pas être amoureuse du torero. Je suis évidemment amoureux du torero ! Je pense au contraire qu'Escamillo est lui aussi une figure de l'artiste qui joue sa vie sur scène et que c'est ce qu'elle aime en lui. Elle a choisi Don José parce qu'il est une figure de la loi, et pour le détruire, elle choisit une figure de l'artiste.

Après la Damnation de Faust, Les Huguenots, Hamlet et maintenant Carmen, vous semblez avoir un goût particulier pour l'opéra français de cette époque...

O. P. : Absolument. Je suis atypique en France puisque j'aime la musique française ! C'est un peu surprenant, mais on commence à s'y mettre, en France ! J'aimerais beaucoup monter Les Pêcheurs de perles après Carmen. J'aimerais bien retravailler sur Scribe aussi. J'adorerais monter Les Vêpres siciliennes par exemple. J'aime beaucoup l'idée d'un monde pré-insurrectionnel qu'on trouve dans toute cette époque.

La Damnation de Faust que vous aviez monté à Genève reste toujours votre production préférée ?

O. P. : Oui, avec Pierre-André Weitz, nous pensons tous deux que c'est notre plus beau spectacle. Je regrette de ne pas l'avoir encore repris. Nous l'avons créé avec José Van Dam et Jonas Kaufmann. Jonas en train de chanter « Nature immense », c'est mon plus beau souvenir lyrique !

Dirigez-vous les chanteurs à l'opéra différemment des acteurs au théâtre ?

O. P. : Je ne les dirige pas du tout de la même manière. Un acteur de théâtre déteste qu'on lui montre. Et c'est très exactement ce que veut un chanteur ! L'acteur de théâtre a besoin de créer sa partition. Le processus est beaucoup plus lent. Il faut le laisser trouver sa voie. On l'aide, évidemment, mais on ne peut pas lui montrer. Je suis je pense beaucoup plus impératif avec les chanteurs. Je les invite la plupart du temps à assumer leur convention qui consister à jouer et chanter dans un même geste. Pas de jouer comme des acteurs de cinéma d'un côté en chantant comme une diva de l'autre. Les jeunes chanteurs pensent souvent que le bon jeu, c'est celui des acteurs de cinéma. Il faut faire très attention à cette esthétique de jeu disons psycho-réaliste. Elle peut convenir à certaines œuvres mais pas à d'autres. Les chanteurs comprennent très bien qu'on ne chante pas du Mozart comme du Wagner. C'est une question de style. Mais pour le jeu aussi, il y a des questions de style. Il n'y a pas de bon et de mauvais jeu, mais on ne joue pas Scribe comme on joue Barbier et Carré ! Carmen par exemple n'est pas du tout une œuvre réaliste. Il faut faire attention. »

Propos recueillis par Luc Hernandez, le 16 juin 2012

Bizet : Carmen
Du 25 juin au 11 juillet 2012
Opéra de Lyon
www.opera-lyon.com

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Photo : P_Victor
 

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