Journal

Daniil Trifonov, Daniele Gatti et le Royal Concertgebouw Orchestra à la Philharmonie – Haut les mains – Compte-rendu

Le contact de deux personnalités aussi fortes que celles du chef italien et du pianiste russe, connus pour la teneur volontaire de leurs interprétations, ne pouvait manquer d’intéresser, sans parler, en acteur majeur, du formidable Royal Concertgebouw Orchestra.  Et les contrastes furent au rendez vous de ce concert, d’abord de façon inattendue et attachante avec l’ouverture d’Euryanthe de Weber, jouée par des jeunes musiciens du Pôle supérieur d’enseignement artistique Paris-Boulogne-Billancourt (1), mêlés à la formation néerlandaise, laquelle a inscrit dans le programme de sa tournée dans les 27 pays de l’Union européenne l’exécution systématique d’une ouverture partagée entre elle et un orchestre de jeunes local.

Daniel Gatti © DR
 
 Danielle Gatti et ses musiciens, qu’il dirige depuis 2016, ont donc passé l’après-midi ensemble pour aboutir à cette ouverture d’Euryanthe, jouée avec une énergie à réveiller les morts, et ce caractère massif qui nous a souvent paru caractériser la manière du chef, mais qui cette fois se justifiait, le meilleur moyen d’obtenir la cohésion d’un ensemble fragile, et sans doute intimidé, étant de le pousser aux extrêmes dynamiques et sonores, le ralenti, la douceur étant certainement beaucoup plus difficiles à obtenir.
La star Trifonov (photo) a ensuite fait son entrée, lunaire comme à l’accoutumée, et se jetant dans la mêlée du 3e Concerto de Prokofiev, que celui-ci acheva porté par les brises de l’Atlantique, à Saint-Brévin-les-Pins. L’œuvre,  dans le style brisé et capricieux du maître russe, ludique mais aussi lyrique, diffuse une clarté que sa vigueur ne brouille pas. Trifonov s’y est lancé avec la virtuosité stupéfiante qu’on lui connaît, mais qui nuisait un peu à la richesse de sa sonorité, gêne légère accentuée par des instants de maniérisme dans les passages où le piano erre librement, se donnant un répit entre les séquences impérieuses qu’impose l’orchestre, rendues ici plus lourdement russes que nature par Gatti, qui ramenait presque à Moussorgski.
 
Changement d’ambiance, majeur avec la Symphonie « Titan » de Mahler : on sait Gatti mahlérien, et là, en parfaite osmose avec des musiciens dont on a apprécié la tonicité plus que le velouté des sonorités, il a su faire chanter toute la palette de la symphonie, déclinée comme une sorte d’éventail prémonitoire de l’œuvre symphonique du compositeur. Superbes cors, cordes fruitées, et chez le chef, une capacité à créer le climat d’innocence, de méditation ou de tragédie, qui fait que la pièce se feuillète comme un album. Très beau moment, vécu avec une intensité frémissante par les interprètes, du chef à ses musiciens.
 
Jacqueline Thuilleux

logo signature article
(1) www.pspbb.fr/fr/

 
Paris, Philharmonie, 17 mai 2018

Photo Daniil Trifonov © Dario Acosta / DG

Partager par emailImprimer

Derniers articles