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Coup de cœur Carrefour de Lodéon & Concertclassic - Un autre Ravel - Une interview de Roger Muraro


Emouvant début d’année 2013 pour Roger Muraro, interprète très lié comme l’on sait à la musique d’Olivier Messiaen : le 15 janvier le pianiste a en effet eu l’occasion de participer à une exécution du Quatuor pour la fin du temps à Görlitz (Allemagne). L’événement s’est déroulé très exactement sur l’emplacement du Stalag VIII A où, captif, le compositeur français a écrit sa plus célèbre œuvre de musique de chambre et l’a créée avec trois compagnons d’infortune : Jean le Boulaire (violon), Etienne Pasquier (violoncelle) et Henri Akoka (clarinette), le 15 janvier 1941.

Mais en ce moment l’actualité de Roger Muraro rime d’abord avec Ravel, dont il donne l’intégrale de l’œuvre pour piano à l’Auditorium de Dijon, le 15 mai, peu après avoir relevé le même défi au Luxembourg. Concertclassic l’a interrogé sur ses retrouvailles avec l’univers ravélien.

Comment s’est passé ce retour à la totalité du piano ravélien ?

Roger Muraro : J’ai eu très peu de temps pour reprendre toutes ces œuvres l’été dernier à l’occasion d’une invitation dans un festival. Ça s’est fait avec une vitesse incroyable : les choses ressortaient très naturellement ; il est vrai que j’ai beaucoup approfondi cette musique autrefois. Je me suis aperçu en rejouant Ravel que la lecture que j’en faisais, avant, était par certains côtés très scrupuleuse et ce scrupule m’engageait sur des chemins qui étaient peut-être, et même sûrement, je l’ai désormais compris, trop dans la méticulosité, dans l’orfèvrerie. Cela s’est complètement confirmé avec l’intégrale que je viens de donner au Luxembourg.

J’ai compris que tout ce qui semblait me rapprocher de la musique de Ravel, du microcosme ravélien, n’était en fait que le chas de l’aiguille permettant d’accéder à un espace beaucoup plus grand. Cet espace, je ne l’ai jamais ressenti autant qu’aujourd’hui et cela rejaillit sur mon interprétation.

La fréquentation assidue de l’océan de timbres et de virtuosité qu’est la transcription de la Symphonie fantastique de Berlioz par Liszt(1) n’aurait-elle pas contribué à cette évolution ?

R. M. : Je n’avais jusqu’ici jamais joué une œuvre aussi difficile que cette Fantastique et il est possible que, sur le plan pianistique, sa fréquentation m’ait donné quelques armes supplémentaires - dans Scarbo par exemple dont on peut rapprocher l’écriture de celle Songe d’une nuit de Sabbat.

Mais l’important pour moi est de souligner le fait que j’entends le piano de Ravel de manière moins « acidulée » qu’autrefois. Je l’entends, je ne dirais pas plus charnu mais plus… spacieux. Je pense par exemple aux Noctuelles : tous les petits éléments constitutifs de la musique s’intègrent dans une ligne plus conductrice qu’auparavant. Jusqu’à présent je m’imposais des contraintes terribles, peut-être aussi terribles que celles que Ravel s’imposait lorsqu’il composait. Je m’imposais ces contraintes et je m’y arrêtais. Je garde évidemment le fond du travail effectué autrefois, il était indispensable, mais le phrasé s’intègre désormais dans une ligne conductrice plus grande.

Je suis incapable de mesurer l’impact de la fréquentation du Berlioz ; peut-être est-ce le temps tout simplement qui m’a aidé à avoir une perception différente de Ravel. Tout en étant moins investi dans le détail, je parviens à quelque chose de plus profond. Je joue Ravel avec un engagement légèrement plus distant et cette distance me permet finalement d’être plus généreux. Je tutoyais Ravel, je le vouvoie à présent. Je l’aimais trop, maintenant je crois que je l’aime juste ce qu’il faut pour rendre toute la noblesse de sa musique.

Quels sont vos projets discographiques ?

R. M. : Depuis très longtemps je bascule d’un studio à un autre ; j’y ai parfois trouvé des conditions de travail qui me convenaient, mais pas toujours… Je rêvais depuis longtemps d’avoir un lieu d’enregistrement qui me soit propre. J’ai acheté une maison en Bourgogne avec une grande grange que j’ai transformée en studio. Les travaux sont en cours d’achèvement ; le premier enregistrement aura lieu en juillet. Ce disque marquera le début d’une série et je ne puis sur ce point que me réjouir de la confiance que me témoigne Universal. Ces enregistrements s’articuleront autour de l’œuvre de Debussy, associée à des pages d’autres compositeurs. Je commencerai par un Debussy/ Chopin, suivront dans un ordre qui reste à déterminer, un Debussy/ Schumann/Wagner, un Debussy/Liszt/Ligeti, etc. Ce sera l’occasion de proposer une mise en perspective d’un compositeur qui m’est particulièrement cher, plutôt que de réaliser une intégrale Debussy de plus.

Propos recueillis par Alain Cochard, le 20 avril 2013

(1) Roger Muraro a signé un époustouflant enregistrement de la Symphonie Fantastique de Berlioz/Liszt (Decca 4764176)

Roger Muraro

Intégrale de l’œuvre pour piano seul de Ravel

15 mai – 19h 30

Opéra de Dijon (Auditorium)

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Photo : Alix Laveau

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