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Coup de cœur Carrefour de Lodéon & Concertclassic - Romain Descharmes - Le piano éclectique


A 32 ans, Romain Descharmes se range parmi les plus attachantes personnalités du piano français. D’origine nancéienne, l’artiste a déjà à son actif deux très beaux enregistrements Brahms et Ravel (Audite) et vient de remporter un triomphe à la Cité de la musique dans le Concerto n°2 de Saint-Saëns, sous la direction d’Alain Altinoglu à tête de l’Orchestre de Paris. Le 9 juin, au Piano(s) Festival de Lille, Romain Descharmes sera le soliste du 1er Concerto de Marie Jaëll (1846-1925) – un ouvrage dédié à Saint-Saëns - avec l’Orchestre national de Lille et Joseph Swensen. Ce grand écart entre un concerto archi-célèbre et une partition inconnue souligne l’ouverture d’esprit d’un musicien qui, s’il adore jouer Mozart, Beethoven ou Chopin, fait montre de curiosité et d’éclectisme.

Comme beaucoup d’auditeurs, j’ai été surpris et séduit l’autre jour à la Cité de la musique par la manière dont vous avez littéralement réinventé l’archi-rebattu Concerto op 22 de Saint-Saëns…

Romain Descharmes : C’est évidemment plus facile à faire sur des œuvres jamais entendues telles que le Concerto n°1 de Marie Jaëll que je jouerai bientôt, mais j’essaie de procéder de la même manière avec des compositions célèbres. C’est ce que j’aime dans l’interprétation ; faire comme s’il s’agissait de la première audition, en restant évidemment respectueux de la partition, des indications écrites, du caractère.

Et quel bonheur de pouvoir le faire en compagnie d’un chef aussi attentif qu’Alain Altinoglu…

R. D. : C’est vrai, et ce n’est pas toujours cas. Là, j’ai senti l’orchestre vraiment à l’écoute ; Alain Altinoglu était toujours présent. C’était une expérience vraiment superbe !

Pour votre première participation au Piano(s) Festival de Lille vous interprétez une rareté absolue : le Concerto n°1 en ré mineur de Marie Jaëll. Sait-on quand l’œuvre a été donnée pour la dernière fois en France ? Comment avez-vous été amené à aborder cet ouvrage.

R. D. : … Je pense que Marie Jaëll devait être encore vivante… (rires). L’œuvre date de 1877. Je collabore de façon assez étroite avec la Fondation Bru Zane qui redécouvre la musique romantique française et, à l’occasion du Portrait de Marie Jaëll que programme le festival lillois cette année, il m’a été proposé de donner ce 1er Concerto. Je l’ai découvert de façon un peu curieuse par le biais d’une copie de facsimile assez illisible de la version pour deux pianos de la main de Marie-Jaëll. Par la suite, j’ai reçu la partition éditée, réalisée à partir des diverses moutures que l’auteur a laissées de son œuvre. On relève des différences, parfois très importantes, entre la version manuscrite pour deux pianos et la version éditée et j’ai effectué des choix entre les deux selon la manière dont tel où tel passage me semblait sonner de la manière la plus satisfaisante.

Comment présenter cette musique aux auditeurs qui vont la découvrir à Lille ?

R.D. : Je suis assez impatient de voir comment elle va sonner avec l’orchestre. C’est un concerto très démonstratif, très lisztien – avec beaucoup de gammes, d’arpèges, d’octaves - ; le soliste a une partie très brillante, un peu dans l’esprit des concertos de Saint-Saëns quand le piano est amené à se fondre dans l’orchestre. Le thème du 2ème mouvement est très beau, très romantique.

Y a-t-il une œuvre qui vous a particulièrement séduit parmi celles découvertes grâce au Palazzetto Bru Zane ?

R. D. : On m’a envoyé des tas et des tas de partitions. J’ai beaucoup lu de musique où il y avait pas mal de choses à oublier. Mais il y a une œuvre que je suis vraiment heureux d’avoir pu découvrir et que je défends à chaque fois que j’en ai l’occasion : la Sonate en la mineur de Théodore Dubois. Beaucoup de pièces de Dubois n’ont guère d’intérêt, mais cette Sonate en vaut vraiment la peine. J’en ai d’ailleurs réalisé un enregistrement qui sortira plus tard chez Hyperion. Il reste que je ne tiens pas à devenir le pianiste qui ne joue que de la musique française inconnue.

Revenons justement au grand répertoire : quelles sont les opus qui vous occupent en ce moment, ceux que vous voudriez bientôt aborder ?

R. D. : J’avoue que j’ai jusqu’ici laissé de côté les sonates de Prokofiev et il faudrait vraiment que je m’y mette. Je me souviens d’avoir acheté la partition à l’époque de mes études au Conservatoire et de m’y être plongé sans parvenir à y entrer vraiment. Ça me paraissait très compliqué, mais c’était il y a longtemps et je pense que ce serait très différent maintenant. Les dernières sonates sont absolument géniales et j’adorerais les jouer.
En ce moment, je suis dans Beethoven. Si un jour je pouvais jouer les 32 Sonates je serais comblé. Avec Pierre Fouchenneret, je travaille très régulièrement depuis quelque temps les 10 Sonates pour violon et piano. Dès que nous en avons l’occasion, nous en mettons une ou deux au programme de nos concerts et nous aimerions les enregistrer intégralement.

Car la musique de chambre occupe beaucoup de place aussi dans votre activité…

R. D. : C’est essentiel pour moi ; je ne pourrais pas vivre en jouant concerto sur concerto.

Quels sont vos partenaires de prédilection ?

R. D. : Outre Pierre Fouchenneret, je joue régulièrement aussi avec Sarah Nemtanu depuis que nous avons enregistré la 3ème Sonate d’Enesco ensemble (1). J’ai déjà eu l’occasion de me produire à deux reprises avec le Quatuor Ebène et je renouvellerai l’expérience cet été – c’est un plaisir absolu que de jouer avec eux ! Par ailleurs, j’ai beaucoup travaillé avec le clarinettiste Olivier Patey et nous avons enregistré les Sonates de Brahms (à paraître prochainement chez Artis Records). Je suis amoureux de la musique de Brahms ; quelles œuvres extraordinaires que ces deux Sonates.

Il est important, surtout pour les pianistes qui sont très centrés sur leur instrument et un peu solitaires, d’avoir le plus de répertoire possible et de jouer avec le plus de gens possible.

Et d’en profiter parfois pour sortir de l’univers classique : je songe à votre participation au groupe Quai n°5 (2), dans un répertoire qui va du jazz au tango en passant par le tzigane…

R. D. : Quand on fait un concert avec Quai n°5, ce n’est pas la même pression, pas la même ambiance, avec la sono, les lumières, pas la même énergie. On peut tout lâcher et ça dédramatise le fait d’entrer en scène. De plus la pratique de musiques très syncopées fait que l’on entend très différemment ensuite les syncopes de Bach ou de Mozart. S’agissant de Bach, le percussionniste de Quai n°5 m’avait suggéré de jouer quelque chose de Bach avec le métronome mais à contretemps – avec les temps «en l’air ». Du coup on entend la musique très différemment ; Bach est peut-être le premier compositeur de swing. C’est une expérience très enrichissante.

Propos recueillis par Alain Cochard, le 1er juin 2012

aux côtés de Jean-Marc Phillips-Varjabédian (violon),Paul Mindy (percussions), Jean-Luc Manca (accordéon) et Stéphane Logerot (contrebasse, guitare)

Romain Descharmes au Piano(s) Festival de Lille

(Concert partagé avec Jean-Claude Pennetier qui interprète la Ballade de Fauré)

Orchestre National de Lille, dir. Joseph Swensen

9 juin 2012 – 17h

Opéra de Lille

(Le concert sera précédé d’une présentation de Marie Jaëll par Sébastien Troester, à 16h à la Rotonde)

Programme complet du Piano(s) Festival (du 8 au 10 juin)  : www.lillepianosfestival.fr

(1) «Gypsic »/ Naïve (enr. 2010)

(2) aux côtés de Jean-Marc Phillips-Varjabédian (violon),Paul Mindy (percussions), Jean-Luc Manca (accordéon) et Stéphane Logerot (contrebasse, guitare)

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Photo : DR

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