Journal

Coup de cœur Carrefour de Lodéon & Concertclassic - « Quand on joue avec Muti, on se dépasse » - Une interview de Patrick Messina, clarinettiste


Tous les fidèles de l’Orchestre National de France savent quel magnifique instrumentiste est Patrick Messina. 1ère clarinette solo de la phalange depuis 2003, l’artiste a beaucoup appris au contact des divers chefs avec lesquels il a collaboré. Parmi eux, Riccardo Muti lui a même confié en 2007 la partie solo du Concerto pour clarinette de Mozart. Remarquable, l’enregistrement de ce concert paraît en CD, couplé avec un non moins poétique Quintette KV 581, réalisé avec le Philharmonia Quartett Berlin(1). « La clarinette enchantée », avait dit Yehudi Menuhin de Patrick Messina… Il n’a jamais cessé de lui donner raison. Questions à l’un des très grands « souffleurs » français.

Comment votre vie de musicien s’articule-t-elle entre l’appartenance à l’Orchestre National de France, dont vous êtes 1ère clarinette solo depuis 2003, et vos activités de soliste.

Patrick Messina : Les choses ont évolué depuis 2003. Quand je suis entré à l’Orchestre National, j’ai éprouvé un sentiment que je ne qualifierai pas de frustration mais… j’avais un peu l’impression de tirer un trait sur certaines ambitions. Je me rends compte aujourd’hui que l’Orchestre m’a apporté énormément. Travailler avec des gens tels que Masur, Haitink, Osawa ou Gatti est une irremplaçable source d’enrichissement. Quand on a joué les Symphonies de Brahms avec Masur on ne conçoit plus les Sonates pour clarinette de la même façon. Le regret que j’ai pu un temps avoir de ne pas m’être lancé dans une grosse carrière de soliste uniquement s’est effacé. Et je me rends compte que, finalement, je beaucoup en soliste.

Ça a été le cas avec l’Orchestre National, le 14 avril 2007, lorsque vous avez interprété le Concerto KV 622 de Mozart sous la direction de Riccardo Muti. Quel souvenir gardez-vous de ce moment, comment vous y étiez-vous préparé ?

P. M. : On travaille comme un fou ; pas question de décevoir un chef tel que Riccardo Muti ! Je me suis aperçu que la façon la plus saine de m’y prendre était d’y aller avec mon cœur, le plus simplement et le plus honnêtement possible. Je me souviens de l’audition où il m’accompagné au piano. Nous avons joué l’œuvre d’un bout à l’autre : à la fin il a fait part de sa satisfaction, à moi et à Didier de Cottignies qui était présent, en parlant d’un Mozart « élégant et viril ». J’ai compris que nous allions bien nous entendre. Quant on joue avec un chef comme Muti, on est porté par sa vision, par ses gestes ; on se dépasse soi-même. Ça a été un moment d’abandon total et j’en garde un magnifique souvenir de partage musical. D’autant que l’orchestre a été admirable de justesse, très à l’écoute et d’une grande pureté. C’est une grande chance pour moi que d’avoir pu graver ce concerto avec une formation d’une telle classe.

Enregistré avec le Philharmonia Quartett Berlin, le Quintette KV 581 complète votre disque Mozart et souligne votre attachement à l’univers chambriste…

P. M. : C’est une chose extrêmement importante pour moi. J’aime beaucoup faire du quintette évidemment, mais du trio aussi, avec des partenaires très divers et très différents. Je suis toujours dans la recherche ; j’aime me remettre en question en me confrontant à différentes approches. Je travaille énormément avec le violoniste Daniel Hope, j’apprécie beaucoup aussi de partager la musique avec la pianiste Simone Dinnerstein par exemple.

Quelles seront prochainement les occasions de vous retrouver un soliste ou en musique de chambre ?

P. M. : Je rentre tout juste du Japon où j’ai donné le Concerto de Mozart sous la direction de Trevor Pinnock…

Une approche très différente de celle de Muti j’imagine…

P. M. : Complètement, mais en même temps, Pinnock ne vous impose rien, il suggère certaines choses simplement. Il est passionnant et enrichissant de s’adapter à la conception d’un chef tel que lui.

Quant à l’avenir, j’ai pas mal de beaux projets dont je ne peux pas vous parler tant que tout n’est pas finalisé. En mars prochain j’aurai l’occasion de jouer au Etats-Unis, dans le cadre du Savannah Music Festival, avec Daniel Hope entre autres. J’y créerai un ouvrage que Robert Sadin a écrit pour moi – il s’agit d’un projet autour de Messine, bâti à partir de chansons folkloriques méditerranéennes. Je jouerai par ailleurs au Festival de Santa Fé, avec des partenaires tels que Garrick Ohlsson, mais aussi en Ukraine (le Concerto de Bechara El Khoury à Kiev).

Vous êtes professeur invité à la Royal Academy de Londres depuis 2010. Comment s’organise cette activité de pédagogue ?

P. M. : Chaque département instrumental de la Royal Academy a deux professeurs invités, qui viennent régulièrement faire des master classes publiques (une ou deux fois par trimestre, sur deux ou trois jours) dans des conditions merveilleuses. Chaque élève peut assister à toutes les master classes qui l’intéressent, dans toutes les disciplines ; les choses sont très ouvertes. J’ai affaire à des étudiants en majorité anglais et je mène un travail très enrichissant, partagé avec Andrew Marriner (le fils de Sir Neville Marriner) qui est clarinette solo au London Symphony Orchestra.

Retour à vos débuts pour conclure : vous avez autrefois fait partie de l’Orchestre Français des Jeunes qui fête ses 30 ans à Paris dimanche 28 octobre. Qu’avez-vous retiré de cette expérience ?

P. M. : J’en garde un souvenir fantastique ! J’avais 14 ou 15 ans, c’était la deuxième fois que sortais de chez moi (j’avais participé à l’Orchestre Mondial peu auparavant). C’était l’évasion, un vrai rêve…, aux côtés de gens d’un très bon niveau et sous la direction d’Emmanuel Krivine. Une expérience inoubliable qui m’a fait vraiment grandir musicalement.

Propos recueillis par Alain Cochard, le 19 octobre 2012

(1) 1CD Radio France FRF 009

> Réécouter l'émission Carrefour de Lodéon

> Lire les autres Coups de cœur Carrefour de Lodéon & Concertclassic

> Lire les autres articles d'Alain Cochard

> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

Photo : DR

Partager par emailImprimer

Derniers articles