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Corpus par les Ballets de Monte Carlo – Le pouvoir libérateur de la danse – Compte-rendu

« J’avais envie de me faire plaisir, de faire plaisir aux danseurs, de faire plaisir au public » : pari affiché et réussi par Jean-Christophe Maillot, qui exulte à l’issue de Core Meu, deuxième partie du programme intitulé Corpus, si différent de ses précédents opus : une  fête des corps populaire, à laquelle tous peuvent adhérer, et qui donne des fourmis dans les jambes et à  l’âme. En fait, il s’agit avec cette pièce d’une création en deux temps, puisque la première mouture prit forme en juillet 2017, lors de F(ê)aites de la danse, donné sur les terrasses dominant la mer sous le Casino, et mêla danseurs et public en une formidable osmose mouvante. Un succès qui fut une sorte de leçon de vie.
 

Core Meu © Alice Blangero

 Il faut avoir chorégraphié beaucoup de ballets narratifs, touché à l’abstrait, au music-hall, à l’académique et avoir passé tous les caps pour oser ainsi se libérer des codes imposés par un art qui à force d’être trop sérieux dans ses finalités intellectuelles, finit par perdre son sens primal. Pour une fois, donc, un chorégraphe contemporain ne fait pas que dans la sinistrose : plutôt que de Heidegger, il se réclame de Dionysos, et inscrit ses pas dans une fonction jubilatoire exaltée par l’antiquité et ranimée plus près de nous par Maurice Béjart, qui la fit vibrer dans les stades du monde entier. 

C’est d’ailleurs en amoureux clin d’œil au grand Maurice que Maillot, lequel a passé l’âge de faire des emprunts, dresse la table de Core Meu (photo) : « Je n’ai jamais rien dansé de lui, mais je ressentais un bonheur immense et vivifiant quand je m’immergeais dans un de ses spectacles ». Dans la pièce qui célèbre cette griserie du mouvement, passe donc un soupir des Danses grecques, un éclair mi-guerrier mi-ludique d’un Jorge Donn gambadant dans Acqua alta, un peu des battements hypnotiques du Boléro, mais à la façon de Maillot, plus léger, plus pétillant, moins attaché ici au message culturel de la danse qu’à sa fonction libératrice et vivifiante. Pas d’immortelle hystérie, mais la joie pure, magnifiée par des costumes d’une classe absolue, ceux du costumier-plasticien Salvador Mateu Andujar, avec ses irréels plissés volants, bleus et blancs, qui évoquent pour lui la lumière de la Méditerranée. Et surprise, la course est scandée par les chaussons à pointes, dont on aurait pu penser que Maillot se passerait pour cette bacchanale : en fait il les a conservés pour sauver la pureté des lignes dans ce tourbillon survolté, où les danseurs gardent ainsi la rigueur de leurs envolées.
 
 On retrouve surtout dans Core meu, outre des portés enivrés, de petites joutes et d’humoristiques pas de deux, un peu de cette antique et éternelle ronde, union magique et lancinante des corps soulevés par le rythme, qui mêle les danseurs au son irrésistible de l’ensemble Taranta Sounds, mené de la voix par un surprenant musicien, Antonio Castrignano, qui fait tournoyer les foules en Italie et si peu chez nous. Scandé par le tamburello, son chant, rauque ou séducteur, toujours fiévreux, lui vient des Pouilles, et se frotte de toutes les ondulations et secousses levantines, avec cette obsession magique de la tarentelle, dont on lit avec effarement les folles paroles : « la pizzica traîne le temps qui court, tambours, jouez cent couleurs, le cœur me bat, le sang me brûle, la tête se meut et l’air se dégage ».  

Atman © Alice Blangero

Ce temps de joie avait été précédé d’une pièce bien plus grave, Atman, faite en hommage aux danseurs des Ballets de Monte Carlo par le chorégraphe madrilène Goyo Montero, à la gestique ondulante et parfois sauvage. Comme une houle de corps soudés dont tel ou tel se détache pour s’échapper, s’exprimer ou se refondre dans le sein maternel de la troupe, du groupe. Musique répétitive de Owen Belton, scansion prenante, mais un éclairage trop sombre qui fait perdre de son intensité à cette belle et forte chorégraphie. Dans ce Corpus, on a ainsi pu parcourir la palette du savoir-faire, du bonheur de danser d’une troupe qui, au lieu de trop réfléchir sur le mouvement, le célèbre et l’accomplit dans un état de grâce communicatif. On ne nommera aucun danseur, car tous sont pénétrés de la même furia, même si quelques silhouettes éblouissantes et bien connues se détachent à l’évidence !
 
Jacqueline Thuilleux

Corpus (chor. J.-C. Maillot & G. Montero) - Monaco, Grimaldi Forum, 25 avril 2019 ; dernière représentation le 28 avril 2019 // www.balletsdemontecarlo.com .
 
A ne pas manquer : le Gala de l’Académie Princesse Grace, les 21, 22 et 23 juin 2019, Opéra de Monte Carlo,
A retrouver : La Mégère apprivoisée, les 26, 27, 28 juillet 2019, Grimaldi Forum
 
Photo © Alice Blangero

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