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A contre-pieds. Première d’Ariane à Naxos à la Bastille : un hiatus malheureux entre la scène et la fosse

Ariane à Naxos, une comédie déjantée où l’art se compromet pour mieux vaincre. C’est ce que raconte avec talent la mise en scène de Laurent Pelly, déjà vue la saison dernière à Garnier, et dont les décors étaient pensés en prévision du cadre bien plus vaste de la Bastille. Ariane à Naxos, un drame qui pleure la mort de l’art, où l’élément bouffo est cruauté et dont l’héroïne est abusée et délaissée, voici ce qu’entendait et voulait faire entendre Philippe Jordan. Sa direction physiquement surarticulée, paradoxe !, éteignait l’orchestre et son tempo retenu retirait toute vitalité au prologue que venait plomber le Haushofmeister de Graham F. Valentine, icône des Productions Marthaler que l’Opéra de Paris présentera d’abondance cette saison. Son numéro de tante méchante sous valium fut insupportable.

Lorsque l’on a une distribution aussi luxueuse pour un Prologue, Sophie Koch en compositeur, plus émouvante et vibrante si cela est possible qu’à Garnier, le Musikleherer d’Olaf Baer, la Zerbinette fruitée de Petrova, le Tanzmeister « so chic » de Xavier Mas (attention, talent à suivre), et toute une compagnie de chant prête à tirer son feu d’artifice, gâcher l’impact théâtral avec le seul rôle parlé…

Le hiatus entre la mise en scène et la direction d’orchestre aurait pu se résoudre avec l’opéra, mais là encore, les tempos amorphes de Jordan, et son exigence continuelle de pianissimos à la limite du détimbré, enterraient Ariane vivante. Solveig Kringelborn, qui campait une Primadonna hilarante dans le Prologue n’a pas les graves d’Ariane, et son « Es gibt ein Reich », si il n’eut pas à lutter avec l’orchestre, fut noyé par les tousseurs. C’est connu un public qui s’ennuie tousse plus qu’un public captivé, mais il faut que Gérard Mortier ait le courage que n’eut pas Hugues Gall : opter pour l’électrification. Chaque tousseur recevra par son fauteuil une décharge. Il faut prendre les choses en main, l’hiver arrive, si tout le public de Bastille prend froid, même Wagner ne sera pas en mesure de lutter.

Kringelborn parvint tant bien que mal à la fin de son air, tout le reste du spectacle se déroula d’un tempo unique, la vitalité de la mise en scène de Pelly se dissolvant peu à peu. Degout et Vinogradov toujours impeccables, Echo, Dyade et Najade impersonnelles mais bien chantantes, Petrova, Zerbinette absolument succulente, la pétulance incarnée et s’échappant du numéro appuyé de Nathalie Dessay. On croyait que les charmes soporifiques allaient poursuivre jusqu’au terme de l’ouvrage, mais Joh Villars ne l’entendait pas de cette oreille.

Pelly lui a enlevé la pellicule d’or qui le vétissait à Garnier, mais le ténor floridien n’en à cure : le précieux métal est dans sa voix, et d’un coup, par l’élan de son chant, il emporte l’orchestre. A Philippe Jordan de suivre maintenant, et il fera tout ce qu’il pourra pour lutter contre cette voix de stentor, en tirant même des pianissimos surprenants. La péroraison résonna avec une douceur irréelle, seul moment de grâce d’une soirée ou Ariane à Naxos fut dirigée à contre sens.

Jean-Charles Hoffelé

Première de la reprise d’Ariane à Naxos de Richard Strauss, Opéra Bastille, le 18 octobre 2004, les 21, 26, 29 octobre et les 1er, 4, 8, 11 et 14 novembre.

Photo : Eric Mahoudeau
 

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