Journal

Concours International Yehudi Menuhin 2018/Genève – Le futur a du caractère – Compte-rendu

Lancé en 1983 par celui dont il porte le nom, le Concours International de jeunes violonistes Yehudi Menuhin – une compétition biennale réservée à des candidats de moins de 22 ans – présente la particularité de se tenir dans une ville à chaque fois différente. Après Londres en 2016, le Concours prenait pour la première fois ses quartiers en Suisse, à Genève. Cette édition helvétique aura, à partir de 317 dossiers déposés, mis 44 candidats sur la ligne de départ, également répartis entre les Juniors (moins de 15 ans) – voir ci-dessous le commentaire de Michel Le Naour pour la finale dans cette catégorie – et les Seniors (de 16 à 21 ans) ; 17 nationalités étaient représentéées. La réputation de la Menuhin Competition tient beaucoup à la qualité de ses jurys : celui de Genève ne déroge pas à la règle avec, sous la présidence de Pamela Frank et la vice-présidence de Joji Hatttori, les violonistes Ilya Gringolts, Henning Kraggerud, Lu Siquing, Josep Spacek, Maxim Vengerov, Soyoung Yoon et le pianiste Itamar Golan.
Quatre candidats demeurent en lice pour la finale avec orchestre, le Royal Philharmonic Orchestra, que dirige un violoniste de plus en plus attiré par la baguette depuis quelques années : Julian Rachlin.

Dernier dans le classement, Tianyou Ma (Chine, 17 ans), 4ème Prix, ne peut espérer une meilleure place après un 2ème Concerto op. 63 de Prokofiev lisse, anonyme et d’un ennui consommé. Sa collègue Hyunjae Lim (Corée du Sud, 20 ans), 3ème Prix, aborde certes le Concerto en mi mineur de Mendelssohn avec une technique très solide, mais l’énergie ne fait pas tout et la candidate ne dépasse jamais cette dimension pour songer à la poésie. Dès les premières notes l’affaire est sur les rails, d’une « épreuve de concours » ...

Nathan Miedl et Julian Rachlin ©oliviermichelphotography

Quel bonheur en revanche que la découverte des candidats ayant obtenus les 1er et 2ème Prix, respectivement Diana Adamyan (photo, Arménie, 18 ans) et Nathan Mierdl (France/Allemagne, 20 ans), deux artistes qui font la différence, par l’engagement et le caractère que chacun imprime à son interprétation. Etudiante au Conservatoire de Erevan, la jeune Arménienne signe un Concerto en sol mineur plein de sève lyrique et de poésie (le choix d’un tempo large dans le mouvement lent est assumé avec une belle longueur d’archet) et par sa sonorité bien projetée (elle joue un instrument moderne d’Urs Mächler) fait corps avec l’accompagnement roboratif de Rachlin.

Autant l’attribution des 3ème et 4ème Prix ne souffrait pas la moindre hésitation, autant le choix entre les 1er et 2ème Prix n’a pas dû être simple pour le jury. Il est souverain et son verdict n’appelle pas l'ombre d'une discussion, le Prix du Public venant conforter sa décision s’agissant de D. Adamyan. J’avoue toutefois avoir été plus sensible à la prestation de Nathan Mierdl (qui obtient aussi le Prix des internautes Arte Concert) dans le Concerto n° 3 de Saint-Saëns. Encore élève de Roland Daugareil au CNSMD de Paris, le Franco-allemand est déjà membre de l’Orchestre National de France. Il pourrait bien ne pas s’y éterniser avec de telles dispositions violonistiques et musicales. Quintessencié, son Opus 61 offre un pur miracle d’échange poétique avec un orchestre dont Rachlin raffine les nuances. Dans l’Andantino quasi allegretto central, sa sonorité (il joue un Alessandro Galliano prêté par la Fondation Vatelot-Rampal) parvient à ne plus être que vibration de couleur, parfum de musique. Quant aux mouvements vifs, que de chic, de lumineuse jeunesse et d’aplomb virtuose dénué toute arrogance y trouve-t-on. D’aucuns regrettent parfois une prétendue uniformisation des sonorités, des interprétations ; Mierdl leur oppose un exemple, chimiquement pur, de tradition franco-belge.

Alain Cochard
 

Diana Adamyan (au centre) entourée des deux 1er Prix ex-aequo de la Finale Juniors, Chistian Li (à g.) et Chloe Chua (à dr.), lors du concert de gala du 22 avril au Victoria Hall © Concertclassic

 
Finale Juniors
Le Concours Menuhin fondé en 1983 a couronné dans le passé des violonistes dans la catégorie Juniors qui mènent depuis une carrière enviée. Parmi eux, Daishin Kashimoto, Julia Fischer, Mi-Sa Yang, Alina Ibragimova, Chad Hoopes ou encore Daniel Lozakovitch (en 2014).

Première dans l’histoire de la compétition, l’édition 2018 n’a pu départager Chloe Chua (Singapour, 11 ans) et Christian Li (Australie, 10 ans) qui ont remporté le Premier Prix ex æquo – C. Li recevant en sus le Prix du Public. Tous deux ont manifesté une assurance impressionnante et une étonnante maturité, se jouant sans frémir des chausse-trapes de la pièce pour violon seul, Self in mind, de Jaehyuck Choi (Prix de Composition du Concours de Genève en 2017) ou de l’une des Saisons de Vivaldi (L’Eté pour C. Li, L’Hiver pour C. Chua), bien soutenus par l’accompagnement des membres de l’Orchestre de Chambre de Genève. On reste sous le coup de l’émotion à l’écoute de ces musiciens encore enfants mais dont la personnalité frappe par la détermination et le sang-froid.

Sans doute le jury a-t-il préféré promouvoir les plus jeunes des candidats aux dépens des quatre autres finalistes, en particulier le Brésilien Guido Sant’Anna (12 ans), Sixième Prix, peu à l’aise dans la pièce pour violon seul imposée mais dont la sonorité méditerranéenne et la plénitude d’intonation ont fait merveille dans L’Hiver de Vivaldi. Le candidat est d’ailleurs plébiscité par les internautes qui lui attribuent le Prix Arte Concert. L’Allemande Clara Shen (12 ans), fine, pleine de grâce et d’élégance, Quatrième Prix, comme Hina Khuong Huu (Japon/France/USA, 13 ans), Cinquième Prix, naturelle et d’une grande fluidité d’archet, et surtout la Chinoise Ruibing Liu (13 ans), Troisième Prix, musicienne née, n’ont jamais démérité, faisant preuve d’un niveau remarquable. La marque de fabrique d’un concours prestigieux qui ouvre à ces solistes en herbe les portes d’une future reconnaissance.
Pour sa prochaine édition, le Concours Menuhin franchira l’Atlantique et c’est la ville de Richmond (Virginie) qui l’accueillera au printemps 2020.

Michel Le Naour

logo signature article
Genève, Victoria Hall, 20 avril (Finale Juniors) & 21 avril (Finale Seniors) 2018
Site de la Menuhin Competition : menuhincompetition.org/

Photo (Diana Adamyan)  ©oliviermichelphotography

Partager par emailImprimer

Derniers articles