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Compte-rendu : Xavier Sabata en récital - Un contre-ténor à l'espagnole

Ce n'est pas la voix de miel de Philippe Jarrousky, l'actuelle coqueluche des Parisiens, ni le timbre idéalement équilibré d'Andreas Scholl, ou rien ne traîne, ni ne pose. Et pourtant, le chant du Catalan  Xavier Sabata offre bien du plaisir aux amoureux du concert d'époque. Avant tout, un vrai confort d'écoute, à  défaut  de prouesses funambules, puis, ceci conséquence de cela, un rapport naturel au sens des mots et au "dire".

Non pas le rêve doré des castrats, prompt à enflammer l'imagination des baroqueux, mais le miroir des émotions et des affects propres à l'humaine nature, en écho au projet du style récitatif, ce recitar cantando qui scella, à l'aube du XVIIe siècle, l'union indéfectible de l'harmonia (musique) et de l'oratione (parole) et par qui le visage de la musique s'est trouvé radicalement changé.

En toute logique, le programme s'articulait autour de l'oeuvre vocale de Claudio Monteverdi, l'incontournable créateur de l'opéra et du stile nuovo avec L’Orfeo, la "fable en musique" de 1607. C'est là que le pouvoir rhétorique de Xavier Sabata est à son meilleur, les sommets tenant d'abord dans deux extraits du Couronnement de Poppée, dont l'air liminaire d'Othon, modèle de "suspense" dramatique  et d'urgence, puis, passé l'entracte, dans le fameux Lamento "Lasciatemi morire" de l'Ariane, nonobstant de légers problèmes de tessiture dans l'aigu. 

Cet hommage rendu à la théâtralité du divin Claudio qui, le premier, restitua la mythologie à l'humanité des personnages (rappelons ici son aveu: "Ariane m'inspirait, parce c'était d'abord une femme, et non pas le vent"), notre soliste butinait dans le jardin des continuateurs immédiats du Crémonais, toujours obsédés par la question soulevée, un demi-siècle auparavant, par les théoriciens de la Camerata florentine: "comment parler", ou plutôt "comment dire le drame en musique". Avec peut-être des bonheurs divers, la Cantate de Luigi Rossi (Mi dispiace dirlo) étant un temps fort du récital, tout comme le dolorisme de la Canzonetta Se dolente du même, alors que notre soliste s'accommodait moins aisément des tendres dilemmes de la Cantate Guerra o pensieri miei de Marco Marazzoli.

Mais le meilleur venait avec la conclusion demandée à l'air O morte gradita, extrait du Sant'Alessio de Stefano Landi : un joyau de l'opéra spirituel romain que Sabata a déjà chanté à la scène (dans la mémorable adaptation de Benjamin Lazar) et qu'il porte à des sommets d'émotion et de mélodisme. Accompagnement de bout en bout idiomatique de Daniel et Pablo Zapico aux théorbe, archiluth et guitare baroque.

Roger Tellart

Paris, église des Billettes, 26 novembre 2010

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