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Compte-rendu : Tugan Sokhiev, enchanteur et sauveur - Iolanta à Toulouse

L’attachement de Tugan Sokhiev à Iolanta, dernier(1892) et très méconnu opéra de Tchaïkovski n’est plus à démontrer. En 2007 déjà, le jeune patron du Capitole avait dirigé l’œuvre en version de concert à Toulouse et à San Sebastian et c’est avec impatience que l’on attendait de l’y retrouver pour ce qui constituait la première mise en scène de l’ouvrage en France. Le Théâtre du Capitole étant en travaux, c’est à la Halle aux Grains que revient d’accueillir un spectacle, signé de Jacques Osinski (mise en scène) et de Christophe Ouvrard (décors et costumes).

Unique et fort vilain décor : une sorte de serre en forme de losange, aux contours tranchants, emplie de pots de plantes en fleurs. A quelques rouges près, le jaune beurre frais domine ; on songe à ces étals d’enseignes spécialisées : prix imbattables, durée de vie limitée... L’affaire est mal engagée s’agissant d’un opéra qui, bien que servi par une musique somptueuse, souffre du livret faible et laconique de Modeste Tchaïkovski qui ne présente, comme le remarque André Lischke, « aucun personnage servant de repoussoir, maléfique, ni même ambivalent ». Bref, Iolanta a besoin du concours d’un imaginaire et ce n’est pas la mise en scène proposée qui le lui apporte…

Mise en scène ? Plutôt une mise en espace, convenue, très statique, platement éclairée, que seules viennent un peu animer les entrées et sorties de certains personnage par les accès publics de la salle. Le lieu n’est certes pas idéalement adapté à l’opéra, mais tout de même… L’œil est navré par tant de banalité (exceptons les costumes, assez réussis, de ce constat) et pourtant, continûment, l’oreille s’émerveille.

Ratage scénique et petit miracle musical peuvent aller de pair : la preuve ! Musicien complet, Tugan Sokhiev est autant son aise dans le domaine symphonique que lyrique (L’Amour des trois oranges l’avait on s’en souvient révélé en France au Festival d’Aix 2004), surtout quand le rôle de la fosse se révèle aussi central que dans Iolanta. Quelle maîtrise d’une partition étonnante de raffinement, d’originalité dans les alliages de timbres ! Quel orfèvre des sons ! En fin de compte, c’est lui le metteur en scène de Iolanta. Avec le concours d’instrumentistes très sollicités individuellement (quelle petite harmonie !) et toujours à la hauteur de l’enjeu, Sohkiev offre à ses chanteurs un théâtre sonore où toute la poésie de la pièce de Herz se déploie avec une fluidité, une délicatesse des nuances, une justesse psychologique parfaites.

De la première à la dernière note l’itinéraire de la fille du roi René vers la lumière charme, servi par une équipe de chanteurs (issus à une exception près du Mariinski) préparés, comme cela avait déjà été le cas en 2007, par Larissa Gergieva (la sœur de Valery Gergiev). Le gage d’une homogénéité d’ensemble qui n’a pas manqué de se vérifier. Lauréate du Concours Rimski-Korsakov 2008, Gelena Gaskarova n’a pas volé ses lauriers ! Elle vit l’évolution du rôle-titre avec présence et sensibilité, mais sans une once de mièvrerie, face au Vaudémont d’Akhmed Agadi, et au Robert de Garry Magee (exception britannique à ce cast russe), de très belle tenue l’un et l’autre.

Noblesse, autorité : on se souviendra longtemps de Mikhail Kolelishvili(1) dans un roi René où la profondeur de la voix se conjugue à une irréprochable clarté d’élocution, tout comme du Ibn Hakia pétri d’humanité de Valery Alexeev. Et aucun des rôles secondaires n’a été négligé : Vasily Efimov (Alméric), Eduard Tsanga (Bertrand), l’émouvante Marthe d’Anna Kiknadze, Eléonora Vindau (Brigitte) ou Anna Markarova (Laura) s’acquittent tous admirablement de leur tâche, aussi modeste soit-elle être parfois, tout comme les forces chorales du Capitole préparées par Alfonso Caiani.

Notez enfin que Sokhiev et l’Orchestre du Capitole seront sur la scène de Pleyel, le 1er juin, pour une version de concert d’Eugène Onéguine.

Alain Cochard

Tchaïkovski : Iolanta – Toulouse, Halle aux grains, vendredi 2 avril 2010

(1) Mikhail Kolelishvili est, rappelons-le, lauréat des « Voice Masters » de Monte Carlo 2008

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Photo : Pierre Grosbois
 

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