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Compte-rendu : Passion au TCE - Dusapin sauvé par les madrigaux coquins de Sasha Waltz

Disons le d’emblée, le premier spectacle qui porte la marque du tout nouveau directeur du Théâtre des Champs-Elysées Michel Franck, cette nouvelle production de Passion de Pascal Dusapin rend magnifiquement justice à la musique raffinée du compositeur français. A la création en 2008 au Festival d’Aix en Provence, la mise en scène très intellectuelle faisait pléonasme avec cette œuvre pudique et si peu opératique et l’on s’était ennuyé ferme. Chanteurs et musiciens n’avaient pas non plus trouvé toutes les clés d’une partition très riche. Cette fois, justice est rendue à Dusapin.

Il n’a qu’à se louer de la performance des deux protagonistes, la soprano Barbara Hannigan et le baryton Georg Nigl, des cinq madrigalistes du Vocalconsort Berlin comme des musiciens de l’Ensemble Modern placés sous la direction de Franck Ollu. On a même la musique propre à la langue italienne du texte choisi par Dusapin et sa complice Rita de Letteriis : on regrette seulement qu’il ne bénéficie pas de surtitres, car le public ne l’en apprécierait que mieux. Sasha Waltz a sans doute pensé que sa chorégraphie et sa mise en scène suffiraient à l’expliciter…

Elle ne s’est pas trompée, car elle a réussi son pari en donnant littéralement corps aux abstractions et aux replis intellectuels du compositeur. Et ce, dès la première image où l’on voit l’héroïne séduire le héros en le caressant d’un pied audacieux sur les parties sensibles… Car finalement, même si Dusapin se défend par pudeur de raconter quoi que ce soit dans cet anti-opéra qu’est Passion, l’ensemble suggère une histoire vieille comme le monde : une femme séduit un homme et le laisse tomber quand celui-ci est entré dans le piège infernal de la … passion. Il a beau suggérer que c’est Eurydice qui plaque Orphée, cette inversion des rôles de l’antique légende se fonde sur une expérience personnelle qui nourrit la partition et lui confère sa vérité.

La rusée Sasha Waltz a percé à jour le secret et donne à voir tous les mouvements apparemment désordonnés, mais ici réglés au cordeau berlinois, de cette dévorante passion des âmes et des corps grâce aux magnifiques danseurs de sa troupe. Mieux, grâce à l’engagement total des protagonistes vocaux, elle parvient à une fusion quasi parfaite entre danseurs et chanteurs dans une vision qui procède des seules notes de Dusapin. Cela dure près de 90% de la soirée et c’est admirable. Hélas, alors que la musique se raréfie avec la mort de la passion, Mme Waltz se croit obligée d’en faire des tonnes : elle sort de son rôle par narcissisme. Dommage, car il n’est jamais bon d’ennuyer le public en fin de parcours… Quelques coups de ciseaux salutaires pourraient redresser les choses à peu de frais.

Jacques Doucelin

Dusapin : Passion - Paris, Théâtre des Champs-Elysées : 6 octobre, puis, les 8 octobre à 19h30, et le 10 à 17 h.

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