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Compte-rendu : Orlando Furioso de Vivaldi au Théâtre des Champs-Élysées - Maison noire


Qu’est-il arrivé à l’Orlando furioso de Vivaldi entendait-on murmurer au premier entracte par un public visiblement désarçonné. Et en effet celui-ci voit une œuvre sensiblement différente, surtout si on la compare à celle présentée par l’inusable spectacle de Pier Luigi Pizzi qui courut les scènes d’Europe et du Nouveau Monde tout au long des années quatre vingt, spectacle d’ailleurs documenté par le DVD (1). La science (Frédéric Delaméa) et l’art (Jean-Christophe Spinosi) sont passés par là, changeant le visage du héros de l’Arioste autant que celui de la partition de Vivaldi, ne transposant plus, ordonnant toutes les scènes, retrouvant le vrai fil du drame, rendant surtout cette progression inexorable qui conduit au chef d’œuvre de théâtre d’un troisième acte enfin révélé dans toute sa singularité. Suivant Orlando dans sa folie, Vivaldi y détruit l’opéra séria avec une touche de génie qui place son ouvrage à part dans l’histoire du genre.

Pouvoir en prendre la mesure est une chance inespérée que l’on attendait depuis 2004, lorsque Jean-Christophe Spinosi et sa vaillante équipe avaient révélé le nouveau visage de la partition en concert à la Halle aux grains de Toulouse (2). Avant, vierges de toute vérité, puis après, peu ou prou inspirées par leurs travaux, quelques productions ont tenté de réinscrire l’œuvre au répertoire – de la transposition moderne (et guerrière) selon Holk Freytag (Wuppertal, 1996), aux élucubrations flower-power de David Bosch (Francfort 2010) en passant par les costumes de Carnaval de Gilbert Blin pour l’Opéra de Prague (2001), ou le postmodernisme sensuel et assez bien vu de Barrie Koski (Bâle 2009) – mais toutes ont encore plus péchées par leurs plateaux souvent improbables que par leurs propositions scéniques.

Le spectacle au deux tiers vides de Pierre Audi, Willem Bruls (dont les notes d’intention sur Juliette des esprits et autour de l’enferment paraissent tirées par les cheveux) et Patrick Kinmonth , n’est pas non plus une réussite. Son constant milieu du guet – costumes pseudo d’époque, faux décors à coulisses, obsession mobiliaire à la puissance carrée – déserté durant les deux premiers actes par la moindre velléité de direction d’acteur n’aide ni le spectateur, qui préfère regarder le théâtre, ni les chanteurs, laissés seuls dans les pièges redoutables du Séria. Abandon et fuite. Avec cela un très moche décors de palais d’Alcina en photo noir et blanc, des trucs mobiliers –un lustre qui se prend pour un monstre, une table pour une grotte, un embarras de chaises qui donne du fil à retordre aux chanteurs – et quelques effets appuyés : que signifie ce fauteuil atteint de gigantisme ? Par contre on a bien compris le lustre à l’envers avant le III : Orlando est fou et Alcina a perdu ses pouvoirs.

Oui, et pourquoi d’ailleurs ne pas céder à la facilité ? Heureusement, Pierre Audi revient à lui lorsqu’il retrouve Orlando prisonnier du donjon et de sa démence , Patrice Kinmonth le délivre de ses chromos, le décor n’est plus que mur de brique, et alors le théâtre – scène et jeu – s’impose. Tout devient fulgurant, efficace, pénétrant. Il aura fallu seulement attendre deux heures un quart.

Si l’Ensemble Matheus rayonne, porté avec art par la direction vif argent et poétique de Jean-Christophe Spinosi, le plateau est singulièrement dépareillé. De jeu d’abord : malade, Marie-Nicole Lemieux ne chante pas, et hagarde joue comme elle peut malgré sa forte fièvre. Elle est doublée de la fosse par Delphine Galou dont on avait tant aimé la Lucrèce nantaise, admirable de présence, une des rares interprètes du rôle de par le monde. Dommage qu’elle n’ait pas eu le temps de donner vie au chevalier en scène. La voix est idéale, corsée, virtuose, le style impeccable, et l’interprète ose au III, de l’orchestre, un portait délirant et touchant à la fois. Chapeau bas devant tant d’art qu’on aimerait voir rapidement documenté.

Dieux sait si l’on aime Veronica Cangemi, mais sa voix à la trame, son timbre désuni, sa vocalise improbable, ses couleurs élimées rendent son Angelica impossible, même si elle sauve avec tout l’art qu’on lui connaît son dernier air. Méforme qu’on espère passagère et qu’elle compense par une touchante présence en scène.

A ce jeu là, Jennifer Larmore emporte la palme : Alcina vipérine mais détruite, séductrice mais empoisonnée, elle fait sortir le personnage de son cadre au point même que l’opéra devrait s’appeler Alcina et non plus Orlando. Et peu importe la vocalise guère orthodoxe, les sons tubés où les couleurs incertaines, devant tant de présence, devant une si grande chanteuse on savoure chaque instant de cet art : une telle présence est rarissime.

Pure poésie, le Ruggiero de Philippe Jaroussky transporte aussi par son élégance en scène, malgré une spectatrice cacochyme qui lui a avec application ruiné son premier air – le plus beau. Goujaterie ou malveillance ? La dame n’a pas toussé pour les autres.

Les nouveaux venus excellent tous, du Medoro au style impeccable et au timbre somptueux de Romina Basso au Bradamante passionné de Kristina Hammarström, chanteuse transcendante, actrice inspirée, en passant par l’Astolfo superbe, de timbre, de ligne, campé par Christian Senn, qui sauve le rôle des utilités, y dessinant un vrai personnage.

On sortait du Théâtre des Champs-Élysées heureux d’avoir vu le projet de Jean-Christophe Spinosi trouver les chemins de la scène, mais en songeant qu’il mérite une production d’une toute autre qualité, à la mesure de son art et de l’enjeu d’une telle résurrection.

Jean-Charles Hoffelé

Orlando Furioso, avec Marylin Horne, Jeffrey Gall, Susan Patterson, Kathleen Kuhlmann, 1 DVD Arthaus.

2) Naive a fixé la distribution d’alors (Lemieux, Larmore, Cangemi, Jaroussky, Regazzo, Hallenberg, Staskiewicz) dans un enregistrement qui a fait couler beaucoup de bonne encre (un coffret de 3 CD Naive OP 30393).

Vivaldi, Orlando Furioso

Paris, Théâtre des Champs-Élysées, le 14 mars

Les 16, 18, 20 et 22 mars

www.theatrechampselysees.fr

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Photo : Alvaro Yanès

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