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Compte-rendu - Mort à Venise de Britten à Lyon - Venise japonaise


Chaque mise en scène de Mort à Venise nous confronte à un écueil majeur de la partition : les soliloques d’Aschenbach, récurrents, inévitables, interminables, si mal composés par un Britten conscient peut-être d’y trouver le vrai talon d’Achille d’un opéra à la dramaturgie pour le moins fuyante.

A La Monnaie de Bruxelles, le geste magnifique de Deborah Warner s’avouait court devant ces pannes, à Lyon Yoshi Oida ne fait pas mieux, ne parvenant pas à y infuser la poésie qu’il met partout ailleurs dans son spectacle, et quel spectacle. Une scène de théâtre nô, flottante sur l’eau, s’encadre de passerelles, dispositif tout simple dans la cage de scène ouverte à cour et jardin, un carré mi-écran mi-miroir, suspendu des cintres, fait voir des images symboles ou dévoile l’envers de certains moments cruciaux, de mystérieux mégalithes habillant le fond de scène.

Tout n’est que suggestion, comme cette gondole faite de deux longs bâtons maniés par des appariteurs, la lumière diffracte l’ombre de l’eau, une poésie très shintoïste signe l’esthétique d’une mise en scène qui butte pourtant sur un jeu d’acteur un rien timide.

Peu importe au fond, car les chorégraphies de Daniela Kurz y suppléent, augmentant la fluidité du geste global, et pas seulement dans les Jeux d’Apollon, magnifiques d’invention plastique ; on aura rarement eu à ce point conscience que Britten avait écrit ici autant un ballet qu’un opéra, tant Tadzio et ses amis de plage sont la vraie part de poésie et de séduction, de danger aussi, qui donne à la partition ses reliefs et ses prolongements. Britten le signale d’ailleurs clairement, transformant alors son orchestre en un gamelan imaginaire, se souvenant de sa fascination pour les musiques javanaises omniprésentes dans Le Prince des Pagodes, et c’est probablement avec intention que Martyn Brabbins marque imperceptiblement une césure entre le continuo morne de l’opéra et l’univers sexuel du ballet.

Distribution impeccable : clairement Alan Oke déduit son Aschenbach de celui de Peter Pears, jusque dans l’affect et le placement de la voix, mettant une poésie déchirante à sa mort et un air de danger inédit à son rêve des anciens cultes ; Peter Sidhom, qui peine un peu dans les faussets du vieux beau, réussit toutes ses incarnations avec ce mélange de finesse et d’aplomb qu’on lui connaît : on n’a pas vu de meilleur directeur d’hôtel, ni de coiffeur plus inquiétant. Découverte : Christopher Ainslie donne enfin un corps à Apollon, svelte et musculeux, alors que la voix fait rayonner l’ambiguïté sexuelle du jeune Dieu qui choisit non pas Tadzio mais Jaschiu, son ami brun et dominateur. Les danseurs sont tous à saluer, Colas Lucot, Tadzio faussement indifférent, Jérémy Kouyoumdjian, Jaschiu énergique et possessif et tout le groupe des adolescents. Un chœur parfait pour la villégiature du Lido comme pour les personnages vénitiens, un orchestre sensible aux atmosphères, subtilement conduit, assuraient autant que les solistes le succès de cette lecture élégante, avant tout poétique.

Jean-Charles Hoffelé

Benjamin Britten : Mort à Venise - Opéra de Lyon, le 28 mai 2009!

> Programme détaillé de l’Opéra de Lyon

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Photo : DR

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