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Compte-rendu : Les Maîtres Chanteurs, Parsifal et Tristan à Bayreuth - Bon grain et ivraie


Les productions des Maîtres Chanteurs, de Parsifal et de Tristan et Isolde appartiennent encore à l’ère de Wolfgang Wagner, puisque nommées co-directrices le 1er septembre 2008, Eva Wagner-Pasquier et Katharina Wagner n’ont pas encore pu marquer de leur empreinte les nouvelles orientations du Festival de Bayreuth.
Pourtant, formée par son père, Katharina a mis en scène en 2007 Les Maîtres Chanteurs avec une volonté évidente de donner des coups de pied dans la fourmilière et de se différencier de la tradition de cet opéra à forte connotation germanique.

Au milieu d’un bric-à-brac apparent : avec les provocations de Walther devenu peintre avant d’être chanteur et s’attaquant du pinceau à tout ce qui lui passe sous la main, avec le défilé de figurines en érection symbolisant les différentes personnalités de la culture allemande (Bach, Beethoven, Wagner…), avec l’accoutrement de Sachs pieds nus parmi les Maîtres habillés à la manière de docteurs honoris causa, elle fait passer furtivement comme des collages des signes et des références à ce que furent jadis les décors des mises en scène de Wolfgang (en particulier la sphère représentant la ville de Nuremberg…), clin d’œil à celui qui monta Les Maîtres sans discontinuer depuis 1968.

Dans ce bourdonnement d’idées qui semblent s’éparpiller se dégage une personnalité incontestable. A la manière des jeunes gens à la recherche de leur identité, elle règle ses comptes, consciemment ou inconsciemment, avec l’ancien monde, ce qui a pour conséquence de provoquer l’ire d’une partie du public. L’ensemble de la distribution pêche souvent par insuffisance vocale : le Sachs de l’Américain Alan Titus, trop monocorde, est à bout de voix à la fin des trois actes ; l’Eva de Michaela Kaune paraît bien terne dans ce rôle pourtant passionné. Fort heureusement, le Walther von Stolzing de Klaus Florian Vogt (Photo) est un héros plein de santé, de vie, au timbre lumineux face au Beckmesser d’Adrian Eröd, bien falot. Norbert Ernst, l’apprenti de Sachs, est en revanche excellent. A la baguette, Sebastian Weigle assure mais sans génie la direction d’un orchestre excellent et des chœurs incomparables du Festival préparés par Eberhard Friedrich.

Le Parsifal mis en scène depuis 2008 par le Norvégien Stefan Herheim multiplie les lectures à plusieurs niveaux (historique, psychanalytique, métaphysique), faisant souvent oublier que l’œil écoute tant les informations surabondantes questionnent dans une scénographie pourtant maîtrisée à travers l’Histoire de l’Allemagne (les aigles prussiens omniprésents, les vidéos sur la Première Guerre mondiale, le cabaret proche de Marlène Dietrich dans L’Ange bleu, la destruction des croix gammées, le Bundestag où se déroule l’acte III) et du wagnérisme (le décor de l’acte I est une réplique de Wahnfried à laquelle succède en miroir une représentation de la scène du Festspielhaus).

L’imagination est incontestablement au pouvoir et, malgré ces excès, la direction d’acteurs parfaitement assumée. Le Parsifal christique de Christopher Ventris, d’une belle clarté d’émission, souple et convaincant, domine le plateau face à la Kundry de Mihoko Fujimura qui n’a pas les épaules du personnage et ne parvient pas à en rendre toute la complexité. Le Coréen Kwangchul Youn, solide mais sans charisme ne rend pas à Gurnemanz toute la dimension d’humanité qui lui revient et l’Amfortas de Detlef Roth reste en-deçà de l’expression que l’on attend de ce personnage torturé.

A l’acte II, dans son jardin surplombant un hôpital à la fois cabaret et maison close entouré de Filles-Fleurs transformées en infirmières soignant les blessés de la guerre, le Klingsor ambigu et maquillé de Thomas Jesatko possède une réelle force théâtrale qui se fond parfaitement dans la mise en scène. Daniele Gatti adopte des tempos plutôt lents (ce qui était jadis aussi le cas de Toscanini) et privilégie la lumière, la subtilité, la fluidité italiennes par rapport à la gravité germanique, ce qui allège la pâte sonore même s’il ne parvient pas toujours à susciter toute la tension que l’on attend dans les scènes dramatiques.

Dernière année pour ce Tristan et Isolde dirigé avec professionnalisme mais sans surprise par Peter Schneider, vieux briscard de Bayreuth qui a sauvé bien des spectacles sur la Colline sacrée. La mise en scène abstraite et intellectuelle de Christoph Marthaler assisté par sa scénographe Anna Viebrock ne donne pas dans la joie et le bonheur. Les décors sont au cordeau, modernes, emboîtés, sous l’éclairage de néons artificiels répondant à la volonté de distance, de refus du romantisme dont est pourtant gorgé Tristan. A en juger par la réception du public, ce spectacle ne fait pas l’unanimité à Bayreuth, mais Marthaler veut en finir avec une tradition et le sens qu’il donne peut être médité sans pour autant que l’on puisse adhérer à ses partis-pris iconoclastes. Les chanteurs sont inégaux : le Tristan de Robert Dean Smith, élégant, d’une belle prestance, rend bien la souffrance du personnage et réalise à l’acte III une véritable prouesse, couché sur un lit d’hôpital. L’Isolde d’Irène Theorin ne manque pas de moyens mais en abuse souvent au point de confondre son personnage avec celui d’Elektra face à la Brangäne de Michelle Breedt à la vocalité plus limitée. Le Roi Marke de Robert Holl présente quelque fatigue mais en impose. En revanche, on reste dubitatif face à la prestation en Kurwenal de Jukka Rasilainen toujours aux limites de ses possibilités et forçant sans cesse le trait au point de donner le sentiment d’un hurlement plus que d’un chant épanoui.

Il est incontestable que cette période de transition attend un autre souffle. Il faut cependant rendre à Wolfgang Wagner ce qui lui revient : en particulier de ne s’être jamais opposé à des créateurs qui ne correspondaient pas à ses goûts et sa propre esthétique, comme d’avoir imposé un autre regard sur la geste wagnérienne.

Michel Le Naour

Wagner : Les Maîtres Chanteurs, Parsifal, Tristan et Isolde - Festival de Bayreuth, 26, 27 et 28 août 2009

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Photo : DR

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