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Compte-rendu - Le Roi Roger à l’Opéra Bastille - Finalement, c’était Mickey


Qu’est-il arrivé à Krzysztof Warlikowski ? On songeait que décidément le choix de Gerard Mortier pour la création scénique française du Roi Roger était le bon, tant la thématique de l’œuvre – la dissolution d’un ordre établi, la révélation de son vrai soi-même, et ses ressorts intimes, l’homosexualité et l’abandon du christianisme –, s’accordaient naturellement à son être et à son univers.

Mais non, patatras.

Transposition moderne, avec ses tics de portable inévitables (c’est Edrisi, le personnage politique de l’affaire qui en est affublé), où l’assemblée des croyants devient un troupeau de bourgeoises emperlousées dont une méchante caméra récite les visages engraissés en gros plan, où l’élément central est une piscine qui permet au moins une réinterprétation (qui vaut ce qu’elle vaut) de la danse du II, recousue en exercice médical (hier dans Iphigénie la chenille des pensionnaires, aujourd’hui une balnéothérapie où rôde la mort).

On ne va pas reprocher à Warlikowski d’être Warlikowski : il reste fidèle à son univers, mais sa langue s’est terriblement appauvrie. Les incohérences illustrées par l’atmosphère érotique et nostalgique du prologue en désaccord avec la sociologie de bazar qui suit, les recyclages permanents ou le bégayage d’effets aussi pléthoriques que téléphonés – les fixes d’héroïne, seul viatique pour la révélation, bien entendu - illustrent un art en péril ; le tout agrémenté de quelques emprunts à un confrère qui le fascine visiblement : le Roi Roger rit beaucoup, de ce rire nerveux et convulsif dont Dimitri Tcherniakov à fait sa marque de fabrique.

Mais lorsque paraît le Berger, tout s’effondre. Transformé en hippie gentiment pervers et un peu débile, l’ange de mort que Warlikowski avait voulu recycler du « Théorème » de Pasolini devient une caricature illisible. Dès lors, rien d’étonnant à ce que celui ci revienne au III affublé d’une panoplie de Mickey entouré d’un peuple retombé en enfance.

Un sujet comme celui de Szymanowski ne supporte pas d’être vu par ce petit bout de la lorgnette, sa dramaturgie subtile s’y ridiculise, ses personnages s’y délitent, l’œuvre elle même se naufragerait si justement Kazuchi Ono et ses chanteurs, tous exemplaires, ne la servaient avec autant de poésie que d’urgence.

Si l’œil refuse les vidéos du I, ou le vague Luna Park du III –avec ce SUN écrit mais jamais vu – l’oreille est ensorcelée par cet orchestre diseur, partagé entres atmosphères et émotion, parfaitement réglé, qui emmène une troupe de chanteurs éclatants, du Roi Roger cinglant, noir, hanté de Mariusz Kwiecien à l’Edrisi manipulateur de Stefan Margita, de la Roxana suprêmement musicienne d’Olga Pasichnyk au Berger déjà anthologique d’Eric Cutler, de timbre, de cantabile, d’esprit la plus troublante incarnation de ce séducteur destructeur qu’on ait croisée. L’entendre dispensait de le voir ; ce pourrait être le résumé de ce soir étrange, terminé dans une bronca insultante que Warlikowski a dû subir comme le plus cinglant des désaveux.

Jean-Charles Hoffelé

Karol Szymanowski : Le Roi Roger – Paris, Opéra Bastille, le 18 juin, puis les 20, 23, 25, 28, 30 juin et le 2 juillet 2009

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Photo : Ruth Walz / Opéra national de Paris

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